Athènes, Dubaï, Le Caire, Londres, Doha. Les acteurs du secteur de l’hôtellerie et de la restauration se tournent plus que jamais vers l’étranger. Après un an de fermeture, un dollar qui flirte avec les 13.000 LL, et l’explosion du port de Beyrouth, nombreux sont ceux qui cherchent une porte de sortie.

En décembre dernier, le restaurant Clap (Addmind) a ouvert sur le toit d’un immeuble dans le quartier d’affaires de Dubaï.
En décembre dernier, le restaurant Clap (Addmind) a ouvert sur le toit d’un immeuble dans le quartier d’affaires de Dubaï. D.R.

Partir ou rester. C’est la question que se posent de nombreux restaurateurs depuis depuis le début de la crise, en octobre 2019. Makram Rabbath a tenu bon jusqu’à l’explosion du 4 août. Le Petit Gris, son bistrot français du quartier Saïfi, ouvert en 2011, est alors fermé depuis un an à cause de la crise sanitaire. L’explosion y a provoqué d’importants dégâts, chiffrés à 50.000 dollars.

Grâce au concours de différentes ONG et un apport en fonds propres, il a réhabilité l’établissement, mais il ne prévoit pas de le rouvrir à court terme. «Avant le 4 août, je pensais déjà partir. L’explosion a été un déclencheur. J’ai une lecture très pessimiste de ce qui se passe au Liban. Dans le secteur de la restauration, c’est encore pire. Le Liban est sorti de la carte».

Athènes, une destination qui monte

À moins de deux heures de vol de Beyrouth, il s’est installé à Athènes au mois de septembre dernier. Pour l’instant, il étudie le marché grec avant de se lancer dans un nouveau projet quand la situation sanitaire le permettra. «Tout le pays repose sur le tourisme. Avec plusieurs dizaines de millions de visiteurs par an, la reprise se fera tôt ou tard. Je n’ai pas d’inquiétude», anticipe Makram Rabbath.

D’autres n’ont pas attendu l’effondrement de la livre libanaise pour mettre les voiles. Henry Gemayel a senti le vent tourner dès 2013. Propriétaire de Nutshell Hospitality Consulting, une entreprise de conseil dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, il a très tôt été confronté à des signaux négatifs: clients mauvais payeurs, rotation excessive des enseignes… En 2016, il s’installe aussi à Athènes pour lancer un boutique hôtel Spa 4 étoiles de 35 chambres, en plein centre de la capitale. The Gem Society devait ouvrir le 14 mars 2020. Deux jours plus tôt, le pays est entièrement confiné pour contenir l’épidémie de coronavirus.

 
«Un hôtel à Beyrouth? Je n’y réfléchis pas, j’en rêve. Mais il faut être réaliste, ce n’est pas jouable dans les années à venir hélas»
 
Henry Gemayel
Nutshell Hospitality Consulting
 


Pas de quoi inquiéter Henry Gemayel. «On a quand même pu ouvrir cet été. Ça a été une saison très difficile évidemment, mais ça nous a permis de nous roder et de voir le potentiel qu’offre ce pays. Il est énorme». Le propriétaire qui a déjà investi environ 2 millions d’euros dans ce projet ne compte pas s’arrêter là. Il prévoit de développer The Gem Society avec trois nouveaux hôtels dans le centre d’Athènes, trois ou quatre dans les environs de la capitale d’ici cinq ans, avant d’essaimer sur les îles grecques ou dans d’autres capitales européennes. Le Spa Almaz et le bistrot Muse de The Gem Society pourraient eux être développés indépendamment de l’hôtel. Et le Liban dans tout ça? «Un hôtel à Beyrouth? Je n’y réfléchis pas, j’en rêve. Mais il faut être réaliste, ce n’est pas jouable dans les années à venir hélas. Il suffit de peser les pour et les contre. Entre ouvrir un hôtel n’importe où dans le monde et un hôtel à Beyrouth, il n’y a pas d’hésitation possible».

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Attractivité, salaires faibles, loyers abordables, matières premières de qualité à prix accessibles…, le potentiel de la Grèce séduit les acteurs qui capitalisent sur leur expérience et leurs réseaux pour lever des fonds.

Cap sur le Golfe

Mais les marchés les plus naturels pour les Libanais reste les pays arabes, notamment du Golfe où beaucoup d’entre eux avaient déjà mis un pied il y a quelques années. Depuis le début de la crise, les plus gros opérateurs libanais en ont fait leur nouveau terrain de jeu favori. Alors que les enseignes emblématiques de Beyrouth ferment leurs portes les unes après les autres, elles ouvrent en grande pompe à Dubaï.

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Rabih Fakhreddine PDG de la société 7 Management à l’origine des concepts Antika Bar, Feb30 ou Seven Sisters, a déménagé dans l’émirat, avec femme et enfants, après l’explosion du port de Beyrouth. Il y a cinq ans, dans les colonnes de L’Orient-Le Jour, il estimait que Dubaï ne remplacerait jamais Beyrouth en tant que destination de nuit. «On ne peut plus dire ça aujourd’hui. Tous les fondamentaux sur lesquels cette industrie s’est construite se sont écroulés. Les talents partent à la moindre opportunité et cette hémorragie va s’intensifier quand la situation sanitaire s’améliorera notamment dans le Golfe où l’attractivité du secteur F&B explose. Quand il venait au Liban, Cheikh Mohammed ben Rachid Al Maktoum avait coutume de dire qu’il espérait qu’un jour Dubaï serait l’égal de Beyrouth. Maintenant on ne peut qu’espérer que Beyrouth redevienne l’égal de Dubaï».

En attendant, Rabih Fakhreddine met le paquet à l’international. D’ici 2022, ce ne sont pas moins de 16 enseignes (dont deux en franchise) Antika Bar, Feb30, Seven Sisters, et Cafe Beirut qui vont ouvrir au Moyen-Orient, entre Dubaï, Bahreïn, Qatar, l’Arabie saoudite et l’Égypte pour un investissement de plusieurs millions de dollars, incluant différents partenaires.

Au Liban, 7 Management paye encore les salaires d’une centaine d’employés, même si toutes les enseignes sont pour l’instant fermées. Deux projets de bar et restaurant à Gemmayzé et Monnot attendent depuis un an une stabilisation de la situation pour pouvoir ouvrir. «Je n’abandonnerais pas Beyrouth facilement. Mais pour l’instant c’est impossible d’anticiper quoi que ce soit: on ne sait pas comment les fournisseurs adapteront les prix, la réaction des clients, sans parler de la sécurité», explique Rabih Fakhreddine qui s’attache à employer des Libanais dans ses enseignes à l’étranger.

 
«Le futur du secteur au Liban est très incertain et je ne pense pas que ce sera plus simple sous peu. Mais nous ne comptons pas arrêter nos activités au Liban»
 
Tony Habre
Addmind
 


Le constat est le même du côté de Addmind, la société à l’origine des succès White, Iris et Clap à Beyrouth. Son PDG, Tony Habre a commencé à développer l’entreprise en dehors du Liban après la guerre de 2006. Avant le début de la crise économique, 50% de l’activité de Addmind était à l’étranger. «Aujourd’hui, c’est 100%. Le futur du secteur au Liban est très incertain et je ne pense pas que ce sera plus simple sous peu. Mais nous ne comptons pas arrêter nos activités au Liban. Après 20 ans de succès, c’est très dur de quitter Beyrouth. Nos activités sont en sommeil, mais on espère rouvrir dès que ce sera possible», explique Tony Habre. En décembre dernier, il a ouvert un restaurant Clap de 1500 m2 sur le toit d’un immeuble dans le quartier d’affaires de Dubaï et s’apprête à y ouvrir le Bar du Port ainsi qu’un restaurant haut de gamme, Sucre, prévu ensuite à Londres. «Le développement international est notre priorité. Nous avons plusieurs ouvertures dans les tuyaux, en Europe, en Arabie saoudite et aux Émirats pour des restaurants et des clubs haut de gamme ainsi que des projets de franchise. Nous avons tiré les leçons de 2020 et nous les intégrons dans notre stratégie d’avenir», conclut-il.