Le café-restaurant Paul de la rue Gouraud ne désemplit plus. Passage obligé pour de nombreux manifestants qui souhaitent rejoindre la place des Martyrs et Riad el-Solh, l’établissement voit défiler des centaines de personnes pour une pause-café, un ravitaillement express ou... un passage aux toilettes de l’établissement. « Depuis le début du soulèvement, nous avons multiplié par deux, en moyenne, notre chiffre d'affaires quotidien. Les clients privilégient des articles à consommer rapidement et à transporter, surtout des boissons, des sandwiches ou des éclairs au chocolat », indique Raïf Letayf, gérant des neuf enseignes Paul au Liban. Inaugurée en 2002, la franchise de la chaîne de boulangerie du groupe Holder, qui appartient au groupe La Mie Dorée dirigé par Lina Letayf, emploie 200 employés.
Mais si l’établissement de Gemmayzé vit à l’heure révolutionnaire, ce n’est pas le cas des huit autres Paul, dont sept ont fermé momentanément leurs portes du fait des manifestations et des routes bloquées. Avec un très gros manque à gagner, que le groupe n’a pas encore pu chiffrer. Pour l’heure, une centaine de salariés sont au chômage technique. « C'est tout le secteur de l'hôtellerie-restauration qui est impacté. Par rapport à d'autres enseignes, on s'en sort un peu mieux grâce à notre établissement de Gemmayzé. Nous avons récemment rouvert à Jounié, mais l'activité tourne au ralenti », indique Raïf Letayf, qui doit en plus composer avec la fermeture du restaurant Balthazar au centre-ville, une enseigne également propriété du groupe La Mie Dorée.
« Cela nous oblige à nous réorganiser. Nous avons rapatrié la plupart de nos produits depuis les boutiques fermées jusqu'à Gemmayzé. On essaye aussi de mobiliser les employés des autres boutiques pour satisfaire la clientèle de la rue Gouraud. » Les dix-huit employés de Gemmayzé ont ainsi vu arriver le renfort de vingt-cinq autres. Les horaires ont, quant à eux, été aménagés, pour une fermeture à 21 heures plutôt qu'à minuit.
Dans le quartier, des groupes de discussions spontanées se forment. On y débat avec ferveur des derniers événements, on spécule sur ses prolongements, dans un chassé-croisé étonnant avec l'armée, qui stationne toute la journée au début de la rue Gouraud. « Il n'y a pas eu la moindre tension avec les manifestants », assure Raïf Letayf. Le gérant, qui officie chez Paul depuis 2002, se souvient de la dernière où l’enseigne a été témoin d’un tel bouillonnement. C’était en mars 2005, lorsqu’un million de Libanais descendirent dans la rue après l'assassinat de Rafic Hariri pour dire non à l’occupation syrienne. « Mais cette fois les manifestants ont des profils plus diversifiés. L'ambiance est très unie et chaleureuse, on sent vraiment qu'il y a une solidarité qui dépasse les partis politiques. »