L’état d’urgence sanitaire dû au Covid-19 s’accompagne d’un bouleversement inédit du droit du travail de par le monde avec des conséquences au niveau des congés, du salaire et du temps de travail. Dans beaucoup de pays, des mesures ont été prises pour aider les entreprises et les salariés à traverser la crise liée au coronavirus. Au Liban, en dépit d’une situation économique excessivement fragile, un nombre infime de mesures d’exception ont été adoptées à ce jour.


Quelle indemnisation pour les salariés qui ne peuvent plus travailler ?
Suite aux mesures de confinement imposées par le gouvernement, de nombreuses entreprises libanaises ont réduit, voire suspendu leurs activités depuis la mi-mars. En France, le code du travail permet à l’employeur d’imposer une baisse d’activité dans certains cas (le chômage partiel). Dans le cadre de l’épidémie du Covid-19, huit millions de salariés ont ainsi été placés au chômage partiel, recevant 70 % de leur salaire brut, ou 84 % de leur salaire net. Ce montant est intégralement pris en charge par l’État français à hauteur de 4,5 fois le salaire minimum (les sommes au-delà sont à la charge de l’employeur), ce qui pourrait représenter 24 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année.

Au Liban, étant donné l’incapacité de l’État à honorer ses obligations, il est évident que de telles mesures sont impossibles.

En pratique le schéma est simple : l’entreprise qui n’a plus, ou moins, d’activité impose à ses employés un arrêt de travail partiel ou total. Des salariés subissent ainsi une baisse de rémunération, tandis que d’autres sont totalement privés de revenus, ou pire, licenciés.

La ministre du Travail, Lamia Yammine, s’est contentée de recommander aux entreprises de payer les salaires de leurs employés indépendamment du nombre d’heures effectivement travaillées durant le confinement. Les sociétés sont incitées à s’endetter pour payer les salaires à travers la circulaire n° 547 publiée le 23 mars par la Banque du Liban (BDL) qui leur permet d’obtenir des prêts exceptionnels au taux de 0 % et sans frais, avec un délai de remboursement allant jusqu’à cinq ans.

Il est toutefois fort possible, qu’en l’absence d’un cadre légal réellement adapté à la situation d’urgence, les entreprises soient tentées de recourir à la rupture du contrat de travail pour force majeure prévue à l’article 50 (f) du code du travail sous prétexte que l’épidémie du Covid-19 en ferait partie.

Le Covid-19 peut-il être considéré comme un cas de force majeure ?
En droit libanais, l’article 243 du Code des obligations et des contrats (COC) caractérise la force majeure en matière contractuelle par la réunion de trois éléments : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité.

Concernant l’épidémie du coronavirus, le critère de l’imprévisibilité ne fait pas de doute, puisqu’au moment où les parties ont signé le contrat de travail, le virus n’existait pas. Le critère de l’irrésistibilité s’appréciera au cas par cas par rapport à l’objet particulier du contrat et notamment son lien avec un territoire affecté par l’épidémie. Enfin, le critère de l’extériorité implique que l’événement ne puisse pas être imputable au salarié ou à l’employeur, ce qui nous apparaît comme une évidence.

Dès lors, si traditionnellement il peut y avoir force majeure en cas de guerre, de cataclysmes naturels ou de troubles sociaux, l’épidémie pourrait, dans des cas spécifiques de contrat de travail conclu avant l’année 2020, constituer un cas de force majeure au regard du droit libanais.

Il conviendra évidemment de prendre en considération la date à laquelle le contrat de travail a été signé. En effet, pour les salariés dont le contrat aura été signé récemment (début de l’année 2020), il sera plus difficile de se prévaloir du cas de force majeure, le coronavirus étant attendu sur le territoire libanais. Il serait peut-être possible d’invoquer la force majeure à compter du 16 mars 2020, date officielle du confinement comme motif valable rendant impossible l’exécution de certains contrats de travail.

La qualification de la pandémie du Covid-19 de force majeure ne peut néanmoins avoir un caractère automatique. Une appréciation au cas par cas en fonction des circonstances de l’espèce devra être effectuée par les tribunaux.

La force majeure peut-elle justifier la rupture des contrats de travail ?
Comme l’indique l’article 343 COC, « le débiteur n’est libéré par le cas de force majeure que dans la mesure où l’exécution est devenue impossible. L’extinction de l’obligation peut donc n’être que partielle ».

Le critère est celui de savoir si une fois l’épidémie de Covid-19 passée, le contrat de travail a une raison de perdurer : si oui, comme dans le secteur de la restauration par exemple, l’exécution du contrat de travail ne devrait être que suspendue durant le confinement, à moins que celui-ci n’aboutisse à la fermeture définitive de l’établissement.

A contrario, par exemple dans le cas d’un contrat conclu avec un moniteur de ski, et à supposer qu’il y ait un cas de force majeure, la fin de la saison de ski avant le “déconfinement” rend l’exécution du contrat impossible. Il est alors résilié de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues.

Dans cette dernière hypothèse, il faudra se référer à l’article 50 (f) du code de travail, qui permet à l’employeur, en cas de cessation d’activité pour cas de force majeure, pour circonstances économiques ou arrêt définitif du travail, de mettre fin au contrat de travail de ses salariés sans respecter la procédure de licenciement (préavis et indemnité de licenciement).

Le code du travail impose toutefois à l’employeur de notifier le ministère du Travail un mois à l’avance de sa décision.

En France, pour sauvegarder l’emploi, le ministère du Travail a tout simplement interdit le recours au licenciement pour motif économique pendant la crise du coronavirus.

Au Liban, les tribunaux sont très peu enclins à reconnaître la force majeure comme motif de rupture du contrat de travail. Ainsi la Cour de cassation (décision n° 34/2016 du 26/04/2016) a décidé que la résiliation du contrat de travail pour absence de l’employé due à un cas de force majeure est assimilée à un licenciement abusif (dans ce cas précis, les attaques israéliennes de juillet 2006 étaient l’événement de force majeure).

L’employeur peut-il imposer le télétravail à ses salariés ?
Au Liban, la mise en œuvre du télétravail n’a fait l’objet d’aucune réglementation. Au vu des circonstances exceptionnelles, l’employeur serait en principe en droit de demander à ses salariés de travailler de chez eux, afin de permettre la continuité de l’activité économique mais également pour assurer leur protection.

Mais en pratique, le problème qui se pose pour les employés est celui de la prise en charge des coûts découlant directement de l’exercice du télétravail. Ceci implique notamment le paiement du coût des matériels, logiciels, abonnements (téléphone, internet...). Cette prise en charge n’est pas une obligation incombant à l’employeur, mais résulte de son bon vouloir. Résultat : les salariés perçoivent souvent une rémunération inférieure à celle qu’ils percevaient auparavant alors qu’ils travaillent dans certains cas encore plus qu’avant. De plus, ils se voient acculés au paiement de frais relativement élevés afin d’assurer le télétravail à partir de leur domicile.

En l’absence de cadre législatif, il est indispensable de conclure des accords précis entre l’employeur et ses salariés pour organiser le télétravail. Ces arrangements sont relatifs à l’indemnisation des frais liés au télétravail, comme ceux liés à la connexion internet, à la mise à disposition éventuelle de l’équipement nécessaire ou encore à la modification du tarif et du nombre d’heures en période de télétravail. De tels accords pourraient faire d’ailleurs l’objet d’avenants au contrat de travail.

L’employeur a-t-il le droit d’imposer des jours de congé pendant la période de confinement ?
Le droit libanais octroie à l’employé 15 jours de congé payés par an (exception faite des conventions collectives ou autres règlements intérieurs). Selon le code du travail, la période des congés payés est fixée par l’employeur à son entière discrétion. Cela peut par exemple correspondre à la période estivale ou toute autre période qui voit l’activité de l’entreprise ralentie.

En l’absence de dispositions spécifiques, beaucoup d’entreprises en cessation d’activités sont en train d’imposer à leurs employés la prise de leurs congés annuels ou du moins d’une partie de ceux-ci. La question se pose sur la validité d’une telle mesure.

Dans le cadre de la guerre de juillet 2006, les tribunaux avaient considéré (Cour de cassation n° 15/2017 - 21 mars 2017) que l’employeur ne pouvait déduire du congé annuel les jours d’absence du travail du salarié dû à des événements extérieurs qui échappent à son contrôle. En effet, pour que des jours de congé puissent être considérés comme tels, il faut que l’employé puisse en profiter pleinement, ce qui ne peut être le cas lorsqu’il est confiné chez lui. Certains employeurs qui ont eu recours aux services concernés auprès du ministère du Travail se sont vus rétorquer que la déduction des jours de congé annuel du salaire pendant un arrêt de travail dû à l’épidémie pourrait être considérée comme illicite.

En revanche, en France, à titre exceptionnel, la loi d’urgence 2020-290 a permis à l’employeur d’imposer des jours de congé aux salariés pendant le confinement pour des périodes ne pouvant excéder six jours ouvrables.

Mise en quarantaine : quid du salaire ?
La question de la quarantaine, imposée aux personnes en provenance d’une zone à risques ou celles atteintes du virus, n’a fait l’objet de mesures spécifiques que pour le personnel médical. En effet, la ministre du Travail a pris la décision n° 1/20 en date du 20 mars 2020 en vertu de laquelle les membres du corps médical (infirmières, infirmiers, employés des hôpitaux) placés en isolement à leur domicile ou à l’hôpital recevront l’intégralité de leur salaire durant la période.

On devrait peut-être par analogie étendre cette mesure à toutes les catégories de salariés. Leurs droits seraient alors identiques à ceux d’un arrêt de travail et les dispositions prévues en cas de congé maladie pourraient alors être appliquées.

Qu’en est-il des cotisations dues à la CNSS et des exemptions fiscales ?
Début mars, la ministre du Travail a publié l’arrêté n° 23/1 qui proroge de six mois les délais relatifs à la soumission des contributions mensuelles et trimestrielles de la Caisse nationale de Sécurité sociale. Mais il est évident qu’une simple suspension des délais est insuffisante.

En outre, le budget 2020, publié au Journal officiel du 5 mars 2020, a exempté de taxes les montants alloués aux employés au titre d’indemnités de licenciement pour la période du 1/7/2019 jusqu’au 5/3/2020, et les a considérés comme des charges déductibles des impôts sur les bénéfices.

Cette exemption fiscale a été adoptée suite aux événements du 17 octobre 2019 et ne comprend pas les licenciements opérés pendant la période du confinement. Il conviendrait donc qu’une nouvelle loi soit adoptée afin de proroger les effets de cette exemption jusqu’à la fin de l’année en cours.

Si la pandémie a mis en exergue un vide juridique, il revient aux pouvoirs exécutif et législatif d’y mettre fin avec une batterie de mesures et lois pour éviter des procès en cascade au sortir de cette crise.