Le site Shinmimlam, qui s'appuie sur le registre commercial pour faire mieux ressortir les liens entre entreprises, hommes d'affaires et figures publiques libanaises, est désormais interdit au Liban. L’interdiction fait suite à une ordonnance rendue le 16 juin par la juge des référés de Beyrouth, Hala Naja, suite à une demande présentée par l’Ordre des avocats.
La décision a ensuite était envoyée au ministère des Télécommunications, qui en a notifié les fournisseurs d’accès à internet (FAI) le 22 juillet.
Selon cette décision judiciaire, les informations affichées sur ce site, constitueraient une enfreinte à la protection des « données à caractère personnel » des avocats.
En cause particulièrement : la possibilité de filtrer les données par nom d’avocat. La fonctionnalité permet à l’utilisateur de visualiser, grâce à un graphique interactif, les clients de ces derniers, ainsi que les personnalités publiques ou entreprises qui y seraient connectées.
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L’ordonnance indique ainsi que « les informations publiées concernant les avocats ne sont pas destinées au public et ne font pas partie des données, qui devraient être publiées sur le registre commercial. (…) ». Le recours demande donc à la justice de « restreindre l’accès au site jusqu’à ce que ces données soient supprimées ».
Une position défendue par le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf, qui a estimé dans un entretien avec le quotidien Nida el-Watan que la plateforme électronique « viole ainsi le secret professionnel des avocats ».
Pour le collectif derrière Shinmimlam, qui « plus que jamais » préfère garder l’anonymat, la décision ne se base sur aucune justification légale. « Toutes les données présentes sur Shinmimlam sont publiques. Elles sont issues du registre commercial et sont consultables sur le site officiel dédié ».
La seule différence : la présentation des données, bien plus accessible sur la plateforme désormais bannie.
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Sur le site du registre commercial, la recherche des données, fastidieuse, s’effectue en effet uniquement par noms d’entreprises, à partir desquelles différentes informations sont ensuite listées: actionnaires, date de création, mais aussi…avocats.
« Les données ont toujours été là, elles étaient seulement illisibles. Shinmimlam facilite l’accès à l’information mais ne diffuse aucune une information personnelle, l’enfreinte à la vie privée ne peut donc justifier le bannissement du site », assure Mohamad Najem, directeur de SMEX, une ONG de défense des droits de l'homme en ligne.
Pour Hussein El Achi, avocat et militant, la décision constitue une enfreinte claire à l’article 22 du droit commercial, qui consacre le caractère public de toutes informations liées aux institutions commerciales enregistrées au Liban, et donc de leurs avocats.
« C’est une décision qui viole le principe le plus sacré de la transparence et menace directement le droit d’accès à l’information publique», estime-t-il. « On savait qu’on dérangeait le pouvoir », confirme le collectif. La plateforme est cependant toujours accessible par VPN et Shinmimlam réfléchit à un moyen de contourner l’interdiction.
« On en est arrivés à un point où n’importe quel juge peut prendre une décision et la faire mettre en oeuvre sans fondement judiciaire, c’est terrifiant ».
D’autant plus que l’interdiction est loin d’être un incident isolé. En mai dernier, une liste de 28 applications permettant d’évaluer le taux de change sur le marché noir était interdite, suivant une procédure similaire. « Une simple ordonnance du juge des référés suffit pour interdire provisoirement un site internet. Cette prérogative a fait l’objet d’abus répétés ces derniers temps », dénonce Hussein al-Achi.
Petite lueur d’espoir cependant, Ogero a récemment publié la liste de tous les sites bloqués au Liban, une demande depuis longtemps répétée par Smex, qui constitue « un premier pas pour la transparence et la reddition de comptes », selon Mohamed Najem.