Fortement endommagés par l’explosion du 4 août, le Four Seasons, Le Gray ou encore le Phoenicia ont fermé leurs portes. Déserté, le centre-ville s’est vu voler la vedette par les établissements en bord de mer.
Il y a eu la thaoura, la crise économique, le Covid-19, puis l’explosion au port. Au centre-ville de Beyrouth, rarement l’industrie hôtelière n’aura connu un tel enchaînement de calamités. Rami Sayess dirige le Four Seasons. Depuis le 4 août, devant la variété des tâches qui lui incombent, il avoue se sentir « plus proche d’un concierge que d’un directeur d’hôtel », en l’absence d’employés et de clients. L’établissement détenu par Kingdom Beirut qui compte 26 étages et 230 chambres, dont 90 étaient occupées le jour du drame, a subi de plein fouet le souffle de l’explosion du port, blessant légèrement 18 personnes. Le bâtiment, quant à lui, a subi d’énormes dommages, dans la salle de gym, le spa, le restaurant mais aussi dans les chambres. Le coût des réparations n’a pas encore été évalué, mais se chiffrera en millions de dollars. « L’hôtel ne rouvrira pas avant un an, si ce n’est plus », estime Rami Sayess, qui quittera bientôt son poste à Beyrouth pour prendre la direction du Four Seasons de Bahreïn, tout en conservant son poste de vice-président régional du groupe.
L’hôtel Le Gray, situé sur la place des Martyrs, connaît les mêmes difficultés. Endommagé pendant les manifestations en début d’année, qui ont engendré 480 000 dollars de réparation, l’hôtel de la société Serene Real Estate, filiale de Ven Invest Holding, vivotait avec un taux d’occupation moyen de 5 à 6 % sur les six premiers mois de l’année contre 75 à 85 % habituellement. Au moment de l’explosion du 4 août, 47 clients séjournaient à l’hôtel. « L’évacuation a été l’opération la plus pénible que j’ai connue dans ma carrière, reconnaît le directeur régional de l’hôtel Le Gray à Beyrouth et Amman, Georges Ojeil, qui déplore 18 blessés parmi ses employés. La quasi-totalité des 1 250 vitres se sont brisées à l’intérieur de l’hôtel et il y avait tellement de gaz dans le bâtiment qu’on craignait une seconde explosion. Il nous a fallu plus de deux heures pour évacuer l’hôtel. Mais la situation aurait pu être pire à quelques heures près, car à 20h30 nous devions accueillir un groupe de 80 personnes dont 50 sur la terrasse. » Les 5e, 6 e et 7 e étages, qui n’ont pas de vis-à-vis, sont inutilisables à 85 %, tout comme le café, la réception et le mobilier. L’hôtel ne rouvrira pas avant 9 à 12 mois. Au total, les dégâts sont estimés à plus de 20 millions de dollars.
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Pour l’heure, les hôtels sont toujours en attente des résultats du rapport d’enquête officiel du gouvernement concernant l’explosion pour savoir si, et à quelle hauteur, ils seront remboursés par leurs assureurs. L’hôtel Le Gray bénéficie toutefois d’une clause couvrant l’interruption des affaires lui permettant de payer la moitié des salaires de ses 175 employés.
L’explosion est survenue alors que l’activité commençait à peine à redémarrer après un début d’année catastrophique, marquée par des manifestations, une crise économique et la pandémie de coronavirus. Avec la réouverture de l’aéroport et le début de l’été, le taux d’occupation du Four Seasons, par exemple, tutoyait les 40 % en juillet, certes loin des 80 % constatés habituellement à cette période.
À l’hôtel Phoenicia, détenu par la Société des grands hôtels du Liban (SGHL) de Mazen et Mawan Salha, la situation tendait aussi à s’améliorer : « Nous avions un bon taux d’occupation en prévision pour cet été. Le mois de juillet a été timide, mais le mois d’août s’annonçait bien au vu des réservations », souligne le directeur général Manrique Rodriguez. L’établissement misait notamment sur les offres spéciales proposées durant l’été pour compenser l’absence de touristes. Mais les dégâts subis le 4 août l’ont contraint à fermer ses portes, et l’hôtel n’espère pas rouvrir avant la fin de l’année.
Au-delà de l’hôtellerie, toute l’industrie du luxe du centre-ville est à l’arrêt. Même l’éclairage public est défaillant, donnant l’impression de circuler dans un quartier fantôme. Le centre-ville en tant que destination privilégiée des touristes aisés et de la clientèle corporate serait-il menacé de disparition ?
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La demande déplacée vers la côte
La demande semble en tout cas s’être déplacée temporairement vers les hôtels de la côte, qui ont bénéficié d’une météo favorable jusqu’à la fin du mois d’octobre.
Au Mövenpick, le 5-étoiles du bord de mer, situé à Raouché, on note une hausse de la fréquentation depuis le mois d’août. « Après l’explosion, de nombreux employés des Nations unies, des délégations gouvernementales ainsi que plusieurs organisations humanitaires ont délocalisé leurs bureaux au sein du Mövenpick, ce qui a permis de soutenir notre activité cet été. Les fermetures au centre-ville y ont sans doute contribué », explique la directrice des ventes et du marketing de l’hôtel, Cynthia Flouty.
Au Kempinski Summerland Hotel and Resort, on note aussi un virage dans les usages de la clientèle. L’hôtel a affiché un taux d’occupation de 80 % en moyenne sur les quatre derniers mois, en comptant essentiellement sur une clientèle locale, la diaspora et des séjours longue durée. « Il y avait déjà eu un déplacement de la clientèle en dehors du centre-ville avant l’explosion du 4 août. Les troubles dans ce quartier durent depuis plus d’un an, ce qui a permis aux établissements plus éloignés comme le nôtre d’attirer de nouveaux clients. On peut dire que la demande a dépassé nos prévisions », constate Mark Timbrell, directeur général du Kempinski, qui s’attend néanmoins à un hiver difficile du fait du faible trafic aérien et de nombreux pays confinés.
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Au centre-ville, on veut tout de même croire à un avenir possible. Les hôtels contactés ont tous écarté l’idée d’une revente. « Il n’y a aucun doute que le chemin pour ramener la confiance des clients et celle des investisseurs, dont certains ont beaucoup perdu cette année, sera difficile. Mais je reste persuadé qu’il y aura un retour de l’activité au centre-ville de Beyrouth », conclut Rami Sayess.