Le Liban et l’Irak se sont entendus sur la fourniture de 500 000 tonnes de fioul lourd, payées en dollars libanais sur un compte de la BDL, à partir duquel les autorités irakiennes pourront acheter des biens et services à l’intérieur du Liban. Mais les caractéristiques du fioul irakien ne correspondent pas aux spécifications des centrales libanaises. Il reste donc à trouver le moyen d’en bénéficier.
Le ministre démissionnaire de l’Énergie, Raymond Ghajar, a détaillé ce mercredi à la presse irakienne certaines modalités de l’accord négocié avec l’Irak pour l’importation de 500 000 tonnes de fioul lourd (HFO) en 2021, qui doit encore être signé par les Premiers ministres des deux pays. Selon lui, l’Irak a accepté d’être payé en « lollars », c’est-à-dire sur un compte ouvert spécialement à la BDL, à partir duquel les autorités irakiennes pourront acheter des biens et services à l’intérieur du Liban. Le montant en « dollars libanais » est encore en négociation.
Cet accord couvrirait le quart des besoins d’Électricité du Liban en fioul lourd, et environ 12 % de ses importations totales de carburant (évaluées par le ministère à environ 3,8 millions de tonnes par an, dont 2 millions de tonnes de fioul lourd et 1,8 million de tonnes de gazole).
Durant les 15 dernières années, l’approvisionnement en fioul lourd du Liban était intégralement assuré par la compagnie algérienne Sonatrach. Mais suite au scandale du fioul frelaté, cette dernière n’a pas renouvelé le contrat arrivé à échéance le 31 décembre 2020. En attendant l’organisation d’un appel d’offres, toujours dans les limbes, le ministre de l’Énergie mise donc en partie sur le fioul irakien pour empêcher le Liban de « plonger dans le noir ».
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Mais la partie est encore loin d’être gagnée. Le fioul irakien, qui se caractérise par une très haute teneur en soufre, est en effet inadapté aux centrales libanaises. « Le fioul utilisé au Liban doit comporter au maximum 1 % de soufre, et généralement 0,5 %, alors que l’Irak produit du fioul dont la teneur en sulfure varie entre 3,7 et 5 % », explique Harry Istepanian, expert en énergie et chercheur au Iraqi Energy Institute. La combustion de ce carburant pose des risques sanitaires et environnementaux liés à l’émission d’oxydes de soufre, d’autant plus si les centrales, comme c’est le cas au Liban, sont proches des zones résidentielles. La haute teneur en soufre attaque aussi « les composants des turbines (...) et augmente le risque de défaillance de ses composants », poursuit l’expert.
Un problème de qualité, confirmé par d’autres sources gouvernementales irakiennes, qui concerne environ 45 % du fioul produit dans les raffineries irakiennes. Or, dans un contexte de prise de conscience écologique accru, ce type de fioul est de plus en plus pointé du doigt. « En janvier 2020, l’OMI (Organisation maritime internationale) a par exemple drastiquement diminué le plafond sur la teneur en soufre des carburants utilisé pour le transport maritime et, depuis, l’Irak doit faire face à des surplus de stock de plus en plus récurrent », explique Harry Istepanian. Ce qui explique aussi pourquoi il est aussi motivé pour l’écouler.
Trois pistes possibles
Côté libanais, comment ce fioul pourrait-il répondre aux besoins du pays ? La première piste, qui semble être celle plébiscitée, consiste à « échanger les cargaisons avec un carburant qui répond aux spécifications libanaises », explique Harry Istepanian. Plusieurs entreprises régionales auraient déjà manifesté de l’intérêt. Un tel échange n’impliquerait pas de paiements directs, mais pour compenser la qualité, le Liban pourrait recevoir en échange une quantité inférieure, soit moins que les 500 000 tonnes fournis par l’Irak.La deuxième possibilité serait de procéder au raffinage du fioul. La possibilité d’effectuer le raffinage au Liban est écartée puisque les deux seules raffineries de pétrole du Liban, situées à Tripoli et Zahrani, ne sont plus opérationnelles depuis de nombreuses années, et les remettre en l’état « demanderait des investissements importants pour assurer la connectivité des infrastructures entre les raffineries et les centrales », explique Harry Istepanian. Le procédé pourrait cependant être réalisé par une entreprise étrangère, certaines s’étant d’ailleurs déjà manifestées, mais là aussi, la solution a un coût, le fioul devant être envoyé à l’étranger, puis réacheminé au Liban.
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Enfin, face à l’urgence, il serait possible d’utiliser le fioul, malgré tout, sur le court terme. La piste semble cependant peu plausible, étant donné la levée de boucliers qu’elle suscite. Au lendemain de l’annonce, l’ONG Greenpeace a publié un communiqué mettant en garde contre l’utilisation d’un fioul trop chargé en soufre. De son côté, le directeur d’exploitation de Middle East Power (MEP), l’entreprise qui assure l’opération des « moteurs inversés » installés à Zouk et Jiyé, Yahiya Mawloud, assure qu’il « refusera d’utiliser un fioul trop riche en soufre »
Le risque de pénurie
Si ses modalités sont encore à l’étude, l’option irakienne n’est en tout cas pas en mesure de répondre à l’ampleur des besoins en fioul lourd, nécessaire pour opérer les centrales de Zouk et Jiyeh, les « moteurs inversés » situés sur les deux mêmes sites ainsi que les barges. L’approvisionnement en gazole, utilisé dans centrales de Zahrani et Deir Ammar, serait en revanche sécurisé. Du moins sur le court terme, puisque la compagnie koweïtienne KPC, qui fournit ce type de carburant au Liban depuis 2005, a prolongé son contrat de trois mois à la fin de l’année 2020, selon une source informée.
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Pour couvrir les besoins restants en fioul lourd, soit environ 1,5 million de tonnes, le ministre sortant de l’Énergie compte sur des achats ponctuels sur le marché « spot ». Contrairement au contrat d’approvisionnement classique, les transactions effectuées via ce mécanisme se font immédiatement, selon le prix du jour, et sont souvent plus chers qu’un contrat de long terme. Or dans un contexte de pénurie de devises, la capacité de la banque centrale à assurer les dollars nécessaires pour l’approvisionnement en carburant, qui représentait 1,6 milliard de dollars en 2019 selon la Banque mondiale, est de plus en plus critique.