Le Liban ne dispose aujourd’hui que de 2 à 2,5 gigabits de bande passante internationale légale, ce qui le situe dans la moyenne régionale, mais est insuffisant pour le pays. Cela signifie de façon très schématique que seuls 2 000 à 2 500 internautes peuvent regarder en même temps une vidéo en ligne sur Youtube “comme à la télé”, la connexion minimum requise pour ce type d’usage étant d’un mégabit par utilisateur. À titre de comparaison, la Jordanie, souvent citée en exemple par les professionnels du secteur pour la bonne qualité de sa connexion, utilise près de 5 gigabits de bande passante internationale.
Au Liban, cette faible capacité à l’international justifie la mauvaise qualité des connexions Internet : plus de dix ans après l’introduction d’Internet et plus de cinq après celle du haut débit, le taux de pénétration de ce dernier n’est que de 14,8 % des foyers (en octobre 2009), les prix restent trop élevés et les connexions sont trop lentes.
L’enjeu économique est pourtant crucial : d’après la Banque mondiale, pour 10 % d’augmentation de la pénétration du haut débit, on peut s’attendre à 1,38 % de croissance économique en plus.
Au Liban, la bande passante internationale est aujourd’hui fournie par deux câbles directs et un câble indirect (voir schéma ci-contre). Le premier assure près de 95 % de la capacité totale. Il s’agit du câble sous-marin Cadmus, qui relie le Liban à Chypre, et de là est connecté à l’Italie. Le deuxième câble, Berytar, relie Beyrouth à Tartous en Syrie. Il est prolongé par Alitar, qui connecte Tartous à Alexandrie en Égypte et rallie ensuite l’Europe. Ogero, l’organisme étatique en charge des télécommunications libanaises, y a une participation de 6 %.
IMEWE : 40 gigabits potentiels de bande passante
Afin d’améliorer la capacité de la bande passante internationale légale du pays, deux initiatives ont été prises. Un accord préliminaire a été signé en février 2009 avec STC (l’opérateur d’Arabie saoudite) et Mada Communication (l’opérateur koweïtien qui gère le réseau jordanien) pour relier le Liban à l’Arabie, via la Syrie et la Jordanie. L’idée est d’optimiser l’exploitation des câbles terrestres existant qui assurent les communications téléphoniques internationales. Cette connexion fournirait directement au Liban le contenu arabe de l’Internet au lieu que celui-ci ne transite par l’Europe. Les discussions techniques et commerciales sont en cours, mais aucun horizon n’a pour l’instant été fixé pour la finalisation d’un accord.
La deuxième initiative est plus importante et plus aboutie. Le Liban participe depuis 2007 à un consortium de neuf opérateurs télécoms qui a mené à bien la construction du câble sous-marin IMEWE (India Middle East Western Europe), qui reliera Tripoli à Marseille et Mumbai à partir de février 2010. Une période de test de plusieurs semaines est ensuite prévue avant son entrée en fonctions. Le coût de construction est de 700 millions de dollars, pour une capacité totale du câble de 3,84 terabits (soit 3 840 gigabits), répartis entre les opérateurs en fonction de leurs investissements et de leurs besoins. Ogero y a investi 45 millions de dollars et en retirera une capacité initiale de 40 gigabits, soit plus de vingt fois la capacité actuelle du Liban. De quoi assurer au pays une excellente connectivité internationale et lui permettre de se positionner comme un hub régional.
Mais cela ne suffit pas. Car « le câble n’est qu’un conduit, il faut ensuite que l’État achète l’information Internet qui y circule », explique George Jaber, de Tata Telecommunications, l’opérateur qui dirige le consortium IMEWE. Fournie par les grands opérateurs mondiaux tels Orange, Italia Telecom, Tata, Verizon, etc., celle-ci n’est pas chère : entre 3 et 5 dollars le mégabit en provenance d’Europe. Si on estime que le Liban a besoin au minimum de 8 gigabits de bande passante internationale (un chiffre qui revient souvent parmi les professionnels), l’État devra débourser 40 000 dollars par mois pour assurer une bonne connexion au pays. Les négociations devaient commencer en fin d’année 2009.
Infrastructures locales insuffisantes
Une fois cette étape franchie, encore faut-il assurer une bonne distribution de la bande passante internationale. Et c’est là que le bât blesse. Le problème est à deux niveaux : celui des infrastructures et celui de l’organisation du marché.
Une fois desserré le goulot d’étranglement de l’accès à l’international, on retrouve un autre goulot lié à la qualité du réseau national. Des investissements sont nécessaires pour améliorer ce qu’on appelle la “boucle locale”. Ils devraient être programmés dans le budget 2010, sachant qu’un programme d’investissement est déjà lancé pour renforcer le réseau backbone qui s’étendra à terme sur 4 700 km et couvrira l’ensemble du territoire libanais.
Le programme consiste à parachever deux boucles de fibres optiques (Ring one et Ring two), l’une dans le Nord, l’autre dans le Sud ; et à l’intérieur de ces grandes boucles, une multitude de petites boucles relieront les centraux téléphoniques entre eux. « Pendant la guerre de 2006, nous nous sommes rendus compte que notre réseau de fibres optiques n’était pas protégé. D’où l’idée de l’étendre sous forme de boucles : si le réseau est rompu à un endroit, on peut faire passer l’information de l’autre côté », explique Naji Andraos, directeur général de l’équipement et de la construction au ministère des Télécommunications.
Même en l’état, l’exploitation de l’infrastructure actuelle (mélange de cuivre et de fibres optiques de bonne qualité, car entièrement reconstruit dans les années 90, après la guerre) permettrait d’avoir dès aujourd’hui des connexions Internet bien plus rapides. « Le cuivre peut supporter jusqu'à 1 Mb (voire 2 quand sa qualité est bonne) », explique Patrick Farajian, PDG de Sodetel. Or, la majorité des abonnements Internet actuels sont de 256 Kb.
Car le problème se pose surtout au niveau de la distribution de la bande passante, aussi bien à l’international qu’au niveau local.
Monopole d’Ogero sur l’accès international
À ce jour, seul l’opérateur public est habilité à accéder au réseau international et à le revendre aux fournisseurs de service Internet (les ISP). Comme Ogero se positionne également en tant qu’ISP, il se retrouve en position de fournisseur et de client, et abuse de sa position dominante pour distribuer la bande passante au compte-gouttes tout en la facturant très cher : Ogero ne distribue que des E1 (soit 2 mégabits de bande passante internationale), alors que les ISP réclament des STM-1 (équivalents à 63 E1, soit 155 mégabits) ; et chaque E1 est tarifé à 2 700 dollars par mois, à comparer à 600 dollars le E1 en Arabie et à 500 dollars le E1 à Bahreïn. C’est d’autant plus cher qu’un E1 ne coûte pas plus de 40 dollars par mois à Ogero (un prix appelé à diminuer encore avec IMEWE, à 10 dollars environ). Même en prenant en compte l’amortissement de ses investissements dans les différents câbles, « Ogero a largement la marge pour baisser le prix du E1, au moins de moitié », affirme Jaber.
Une décision qui n’a pas été prise jusque-là au motif officiel d’empêcher le développement du Voice over IP (la téléphonie par Internet), qui pourrait fortement entamer les revenus substantiels des communications téléphoniques internationales.
Un marché noir foisonnant
À défaut de bande passante internationale en quantité suffisante et à des prix attractifs, le marché noir prospère : des fournisseurs d’accès se connectent de façon illégale (par satellite) à des réseaux internationaux, et revendent de la bande passante à des prix inférieurs aux prix pratiqués par Ogero. Les estimations sur l’importance de ce marché noir varient : on parle d’un gigabit de bande passante internationale illégale ; 25 % du marché de l’Internet au Liban serait détenu par des fournisseurs Internet illégaux ; 50 %, voire 80 % de la bande passante circulant au Liban serait illégale...
Concurrence déloyale sur le réseau local
Au niveau de la distribution locale d’Internet, Ogero n’a pas de monopole, mais abuse d’une position dominante, car la majorité du réseau (tout le cœur et le métro, et une partie de l’accès, voir schéma page 27), lui appartient.
S’y ajoute une irrégularité structurelle dans l’organisation du secteur des télécoms : le PDG d’Ogero, Abdel Menhem Youssef, est également le directeur de l’exploitation et de la maintenance au ministère des Télécoms, responsable de l’octroi des divers permis et contrats au secteur privé. Un exemple illustre parfaitement la situation : en octobre 2009, le DSL n’était installé que dans 86 centraux téléphoniques du pays (alors que l’objectif fixé était d’atteindre 210 centraux). Si Ogero est bien présent dans ces 86 centraux, le secteur privé n’a eu accès qu’à 35 d’entre eux « car la direction de l’exploitation et de la maintenance du ministère des Télécoms a multiplié les procédures pour ralentir l’expansion des ISP et favoriser l’organisme d’État », accuse un acteur du secteur privé. Les ISP privés ont ainsi beaucoup de mal à gagner des clients et certains d’entre eux estiment qu’Ogero détient 80 % du marché du haut débit au Liban.
Un peu de technique…
Le Liban dispose actuellement de près de 2 gigabits de bande passante internationale légale, soit 819 E1 (chaque E1 équivaut à 2 mégabits), ou encore 13 STM1 (chaque STM1 équivaut à 155 mégabits ou 63 E1).
Les spécialistes s’accordent à dire que le Liban a besoin aujourd’hui d’au moins 8 gigabits de bande passante internationale, soit 60 STM1. À titre d’exemple, IDM, l’un des plus gros fournisseurs d’accès Internet, réclame à lui seul 10 STM1 pour fonctionner de façon optimale. Le nouveau câble IMEWE devrait lui en fournir 40, de quoi positionner le pays comme un hub régional.
L’exemple de la France
La France est l’un des pays où la connexion Internet est la meilleure et la moins chère du monde. L’offre Triple Play s’y est multipliée. Pour moins de 30 euros (45 dollars) par mois, elle propose aux usagers une connexion Internet allant jusqu’à 20 mégabits (voire 100 mégabits lorsqu’il s’agit de fibre optique), un accès à plus de 100 chaînes de télévision et une ligne de téléphone fixe avec appels illimités gratuits vers les fixes d’une centaine de pays.
Votre connexion Internet effective
Vous avez souscrit un abonnement Internet de 128 Kb, 256 Kb, 512 Kb, 1 Mb ? En réalité, vous bénéficiez rarement d’une telle vitesse de connexion, celle-ci variant en fonction de l’encombrement du réseau. Si vous souhaitez mesurer la vôtre, allez sur le site Internet suivant : http://www.alaide.com/outils_testbandepassante.php
Il vous permettra de tester la qualité de votre connexion à toute heure du jour et de la nuit. L’affaire du Barouk
L’affaire du Barouk, qui a éclaté en avril 2009, est selon les professionnels du secteur l’un des symptômes les plus flagrants du dysfonctionnement de l’Internet : elle est le fruit de la rareté et de la cherté de la bande passante entretenue par Ogero.
Les faits sont les suivants : le fournisseur d’accès Internet légal Virtual ISP (dont Hagop Takayan est l’un des propriétaires) se fournissait en bande passante illégale auprès de la société Hotspot de Walid Houeiss à des prix inférieurs à ceux pratiqués par Ogero : 600 dollars le mégabit par mois au lieu de 1 350 dollars. Hotspot est une société qui fournit de l’Internet illégal au Liban via Chypre et via Israël, grâce à la technologie des micro-ondes. Cette dernière fait circuler de l’information entre deux antennes situées face à face, à condition qu’il n’y ait pas de barrière géographique (type montagne) entre elles. Ce qui est le cas entre le Barouk et Israël, où Hotspot a installé ses antennes.
Lorsque l’affaire a éclaté, un réel enjeu sécuritaire s’est posé, car Virtual ISP, agissant comme grossiste, fournissait de l’Internet non seulement à d’autres ISP, mais aussi à des corps gouvernementaux, dont l’armée. Le fait qu’une partie du matériel provienne de la compagnie israélienne Ceragon Networks n’a fait que compliquer l’affaire. Le dossier est depuis entre les mains de la justice et plus rien ne filtre. Tarifs moyens relevés par l’ART pour les services DSL
aux particuliers en octobre 2009
128 Kbps 256 Kbps 512 Kbps 1 024 Kbps 2,3 Mbps
Prix* Cap** Prix Cap Prix Cap Prix Cap Prix Cap
Ogero 23 2 33 3 47 4 77 5 200 8
ISP privés 19 2 23 3 40 4 70 5 150 6
(*) Les prix indiqués sont en dollars et sujets à 10 % de TVA.
(**) La capacité est exprimée en Gb et représente la quantité maximale que l’utilisateur a le droit d’utiliser chaque
mois. Il doit payer un supplément s’il veut utiliser plus. Tous les ISP, excepté Ogero, offrent du download illimité
la nuit à une vitesse multipliée par deux.
Le forfait le plus courant est celui à 256 Kbps. Les particuliers peuvent obtenir jusqu’à 2,3 Mb de connexion, les
grandes entreprises jusqu’à 5 Mb, et les banques et universités jusqu’à 20 Mb (mais ce dernier forfait est octroyé
très rarement par Ogero).
Taux de pénétration d’Internet au Liban
Liban Moyen-Orient (y compris Israël)
Taux de pénétration Internet 38 % des foyers fin 2008 23,3 % de la population (juin 09)
Utilisateurs Internet 1,7 million de personnes fin 2008 48 millions de personnes (juin 09)
Taux de pénétration DSL 14,8 % des foyers en octobre 2009
(vs 9 % fin 2008)
200 000 abonnés broadband (juin 09)
Sources : ART, www.internetworldstats.com
IMEWE : la capacité de la bande passante internationale du Liban va être multipliée par vingt
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