Le problème – Monsieur D. détient en tant que propriétaire indivisaire la majorité des parts dans des biens-fonds provenant d'une succession familiale au Liban. Il a acheté à certains de ses cousins et cousines leurs parts successorales en vertu de mandats irrévocables de vente. Ceux-ci portent sur des droits successoraux, car les formalités relatives à la dévolution successorale de leurs parents décédés n'ont pas été accomplies à ce jour. N'ayant pas encore réussi à convaincre les autres cousins de lui céder leurs parts dans ces biens-fonds, il attend d'avoir la totalité de celles-ci afin de procéder au transfert de propriété en son propre nom. Or, les mandats ont été établis il y a plus de sept ans. Il aimerait savoir si le mandat irrévocable est prescriptible et dans l'affirmative quel serait le délai de prescription. Y aurait-il un risque d'annulation de la vente par les vendeurs sur cette base ? Il souhaite aussi savoir quelles sont les formalités qu'il serait nécessaire d'effectuer pour inscrire les biens-fonds en son nom au registre foncier en vertu de ces mandats irrévocables de vente.
Le conseil de l'avocat – La loi impose au mandataire qui demande l'inscription d'un droit réel (c'est-à-dire tout droit qui porte sur un bien immobilier, y compris la vente d'un bien-fonds) de présenter à cet effet un mandat ne datant pas plus de cinq ans (article 50 de l'arrêté 188 du 15 mars 1926). Toutefois, une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation exclut de cette règle le mandat irrévocable de vente. Afin de justifier cette exclusion, les tribunaux considèrent que ce genre de mandat nécessite une protection moins stricte du mandataire, car celui-ci est irrévocable du fait qu'il est donné dans l'intérêt d'un tiers (le mandant ou une tierce personne). De plus, on considère que le mandat irrévocable de vente octroie un droit personnel de transférer la propriété au nom de l'acheteur et, par conséquent, le mandat, à l'instar du droit personnel qui en découle, se prescrit par le délai de droit commun de dix ans. Toutefois, le délai décennal n'étant pas d'ordre public, seul le mandant peut l'invoquer (c'est-à-dire les cousins dans notre cas, ou leurs ayants droit). Ainsi, si Monsieur D. se présente au conservateur du bureau foncier après l'expiration des mandats, celui-ci ne pourrait pas refuser la demande d'inscription des parts ainsi transférées. Il se contentera de faire signer à Monsieur D. un engagement de renoncer à réclamer à l'administration toute indemnité (car les taxes et droits prélevés par l'État en contrepartie du transfert de propriété ne pourraient lui être restitués si le mandat est annulé ultérieurement par décision judiciaire pour une raison quelconque). Il faut toutefois noter que si le mandat irrévocable de vente est souvent assimilé à un contrat de vente, celui-ci n’équivaut pas à un titre de propriété. Ainsi, tant que le mandataire n’a pas inscrit au registre foncier le bien en son nom en vertu des pouvoirs qui lui sont délégués, celui-ci n’en devient pas propriétaire et ne peut user du mandat que dans la limite des pouvoirs octroyés. Nous conseillerons donc à Monsieur D. de procéder au transfert de propriété avant l'expiration du terme des mandats. Enfin, il faut savoir qu'il est nécessaire, préalablement à l'inscription au registre foncier, de procéder à la dévolution de la succession (“hassr erss”) de chacun des défunts, et au paiement des droits successoraux (appelés droits de mutation) propres à chaque succession, afin de pouvoir effectuer l'inscription des parts successorales au nom de chacun des héritiers vendeurs. Ce n'est qu'une fois toutes ces formalités accomplies et les biens transférés aux noms de ceux-ci que Monsieur D. pourra inscrire les parts ainsi transmises en son propre nom. Il devra en premier lieu effectuer une formalité simple qui consiste à signer un contrat d'exécution du mandat irrévocable auprès du notaire (“3akd tanfiz wikala guair kabila lil 3azl”), en vertu duquel il pourra ensuite payer les taxes de transfert de propriété et inscrire les biens en son nom au registre foncier.
P.-S. : pour les formalités relatives à la transmission successorale, prière de se référer au hors-série “Successions” édité par “Le Commerce du Levant” en 2010 (deux versions arabe et française).