Le problème – La direction de la compagnie qui emploie Mademoiselle S. a demandé à tous ses employés de signer un mémorandum en vertu duquel ceux-ci consentent à ce que leur employeur accède à leurs courriels (même ceux de leur adresse électronique personnelle), dès lors qu’ils utilisent la connexion Wi-Fi de l'entreprise. Elle aimerait savoir si la demande de la société est justifiée.
Le conseil de l'avocat – La question de l'utilisation d'internet à des fins personnelles sur le lieu de travail est délicate, car elle met en cause à la fois le droit au respect de la vie privée du salarié, qui est un principe à valeur constitutionnelle (1), et le devoir de loyauté envers l'employeur. Malheureusement, le code du travail libanais, qui date de 1946, et qui n'a connu que très peu de modifications depuis, est silencieux sur ce point. De même, il n'existe pas, à notre connaissance, de décisions émanant des tribunaux libanais à ce sujet. Toutefois, les tribunaux français ont eu à connaître à diverses reprises de litiges liés à cette utilisation, et l'on pourrait s'inspirer des solutions qui leur ont été données. Ainsi, la Cour de cassation française a jugé en 2001 dans un arrêt de principe, l'arrêt Nikon, que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur » (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42942). Les tribunaux français admettent donc la possibilité pour le salarié d’avoir recours à sa messagerie électronique professionnelle pour un usage privé, mais cet usage doit rester raisonnable. Par ailleurs, toujours selon la jurisprudence française, il est nécessaire d’identifier ces messages comme personnels. À défaut, l’employeur peut en contrôler le contenu et en tirer des preuves à l’encontre de l’employé, car la connexion internet, mise à la disposition du salarié par l'employeur, est en principe un outil de travail dont l'utilisation est présumée être purement professionnelle (Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45800). De même, afin de s'assurer que la connexion internet est utilisée à des fins purement professionnelles, l'employeur peut installer sur l'ordinateur du salarié un logiciel de surveillance (article L1222-4 du code du travail français). Toutefois, des conditions encadrent une telle restriction à la liberté du salarié. L'employeur doit ainsi en informer préalablement le salarié, notamment sur la finalité de la mise en place d'un tel logiciel. De plus, celui-ci doit avoir informé et consulté le comité d'entreprise et avoir déposé une déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Les mesures mises en place doivent par ailleurs être proportionnées au but recherché. Enfin, il est utile de noter que l'emploi abusif de la connexion internet à des fins personnelles peut justifier une sanction disciplinaire allant jusqu'au licenciement. Selon la jurisprudence française, le fait de se connecter de façon manifestement excessive à l'internet sur son lieu de travail à des fins non professionnelles est de nature à constituer une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. À titre d'exemple, la Cour de cassation française a considéré que le fait d'avoir utilisé la connexion internet de l'entreprise à des fins non professionnelles, pour une durée totale de 41 heures sur un mois, constituait une faute grave justifiant le licenciement du salarié (Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44247).
(1) Décision du Conseil constitutionnel libanais n° 2 du 24/11/1999.