Commerce en ligne au Liban : ça bouge trop lentement
Le commerce en ligne et ce qu’il implique, à savoir les contrats, transactions et signatures électroniques, ne sont à ce jour pas pris en compte par la législation libanaise. Le dernier projet de loi en date a provoqué un tollé en juin dernier.
Le Liban n’a pas encore légiféré sur le commerce en ligne, et notamment sur les contrats, la signature et les transactions électroniques. Dès 2004, ce vide législatif a été identifié par Ecomleb (un projet financé par l’Union européenne pour développer un cadre légal pour le e-commerce) comme l’un des cinq freins au développement du commerce en ligne, après les freins majeurs que sont les communications Internet au Liban (en termes de vitesse et de prix) et la défiance des Libanais à l’égard des transactions sur le Net. Un avocat qui souhaite garder l’anonymat tempère cependant : « L’absence de cadre législatif clair sur les transactions électroniques n’a pas empêché le secteur de se lancer. En cas de problème, la jurisprudence est en train d’appliquer les principes généraux du droit. Dans les faits, il y a rarement eu de litiges, le volume des transactions étant encore petit. »
Mais le secteur privé commence à pousser pour obtenir un cadre législatif. « Il faut une loi libanaise pour protéger le consommateur et les marchands libanais devant les Cours de justice libanaise, explique Gabriel Deek, président de l’Association professionnelle des ordinateurs. Aujourd’hui, un contrat en ligne n’est légalement pas valable au Liban. » Pour donner un exemple concret, lorsqu’un particulier achète un produit ou un service sur un site Internet, et qu’il clique sur le bouton “j’accepte” pour confirmer la transaction, cette action n’est pas reconnue légalement comme une signature électronique au Liban, alors qu’elle l’est dans les pays qui ont légiféré sur le sujet (France, États-Unis, etc.). Cela peut poser problème en cas de contestation de l’opération.
Le dernier projet de loi sur le commerce en ligne, présenté au Parlement le 15 juin dernier, prévoit de légaliser la signature électronique. Il reprend en cela la proposition d’Ecomleb et spécifie que « lorsqu’elle est électronique, la signature consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. Cette condition est présumée si la signature bénéficie de mesures de sécurisation certifiées par des prestataires accrédités : il en va de la signature comme de l’écriture ».
L’authentification, le grand problème du Net
« L’anonymat des personnes sur Internet est un obstacle à toute transaction entre deux entités via le web, explique Bassam Tuéni, PDG de Naharnet. Cela a nécessité la création de mécanismes pour authentifier les gens et la communication à travers la Toile. Des organismes d’authentification (type VeriSign, NDLR) ont donc été créés à travers le monde pour authentifier les sites Internet en tant que véritables entités et authentifier les gens en tant que véritables personnes physiques », poursuit-il. Ces mécanismes reposent sur un système de clés qui permettent de s’assurer que la personne faisant la transaction est bien la personne détentrice de la clé. En l’absence d’authentification (ou certification), toute opération est contestable. « Les États ont promulgué des réglementations pour établir les critères de fonctionnement des compagnies de certification », précise Tuéni. Ces règlements garantissent aussi l’impartialité et l’indépendance de ces sociétés.
En général, les États ne prévoient pas une accréditation obligatoire, celle-ci étant laissée à l’appréciation des sociétés concernées. VeriSign, Symantec, etc. ont pour habitude de demander cette accréditation, car elle renforce leur légitimité devant les tribunaux.
Au Liban, c’est le caractère obligatoire de l’accréditation qui pose problème. Le projet de loi sur la signature électronique prévoit la création d’une autorité, ESSA (Electronic Signature and Services Authority, ou Autorité pour la signature et les services électroniques) dont l’une des fonctions est d’accréditer les sociétés d’authentification.
Autre problème posé par le projet de loi actuel, les membres de cette autorité seront nommés par le Conseil des ministres, « avec tous les jeux d’influence politique qui peuvent en découler », commente Deek, qui milite cependant pour que l’Autorité dépende d’un ministère, « afin de pouvoir recourir à la hiérarchie en cas de problème ». « Ça enlèverait tout le principe de l’indépendance de cette autorité », rétorque Linda Qassem, du ministère de l’Économie.
Au-delà de ses attributions sur le commerce électronique, l’ESSA serait également dotée de fonctions régulatrices et disciplinaires du web libanais, notamment sur le sujet ultrasensible de la protection des données personnelles sur Internet ; le projet de loi sur le commerce en ligne a en effet été intégré dans un projet plus vaste sur les technologies de l’information et de la communication (ICT : Information and Communication Technologies). C’est contre cet aspect-là que la société civile s’est très fortement mobilisée, conduisant au renvoi du texte le 15 juin dernier devant la commission parlementaire.