Commerce en ligne au Liban : ça bouge trop lentement
Le commerce en ligne se développe doucement au Liban, légèrement poussé après la guerre de 2006 par la nécessité pour les commerces libanais de trouver de nouveaux marchés. Mais le manque d'infrastructures et la taille du marché local pénalisent grandement son expansion.
Est-ce le signe d’un changement des temps ? La compagnie aérienne libanaise Middle East Airlines a récemment lancé son site de réservation, de paiement et d’enregistrement en ligne. Le geste est loin d’être anodin : jusqu’à présent, le marché local était considéré comme trop petit pour justifier d’investir dans le développement du “online”.
Il n’existe évidemment pas de statistiques sur le commerce en ligne au Liban. Les sites ne communiquent pas leurs chiffres, ou très peu, et les passerelles de paiement libanaises, par qui la majorité des transactions passe, respectent la même loi du silence. À vue de nez, on peut estimer que le e-commerce libanais se chiffre en millions, voire dizaines de millions de dollars par an. Pas plus. Le nombre de sites de e-commerce conçus, créés et développés au Liban est pourtant en expansion, surtout depuis la guerre de 2006. Mais leur chiffre d’affaires est encore limité ; car le e-commerce libanais fait face à de nombreux obstacles, qui freinent son développement, entamé au début des années 2000.
Un marché petit et immature
Premier handicap : la taille du marché local. Si on peut penser que sur Internet, le fait de pouvoir cibler le monde entier dispense de passer par le marché local, en pratique, il est très difficile de lancer un site Internet destiné à une population qu’on ne connaît pas. D’où l’importance des marchés domestiques pour le développement du e-commerce aux États-Unis et en Europe. « Certains sites américains ne livrent que le marché américain par exemple », relève Antoni Lorfing de Cash United. Au Liban, la population de quatre millions d’habitants est restreinte, et encore trop peu connectée : seuls 40 % du million de foyers ont une connexion InterNet dial-up et seuls 16 % ont des connexions haut débit (à fin 2009). Or, Nathalie Lemonnier, experte en commerce en ligne et professeur à l’École supérieure des affaires (ESA), est catégorique : « Le développement du e-commerce dans le monde s’est fait en parallèle avec celui du haut débit. » Avec une connexion DSL moyenne de 256 Kb/s au Liban, les vitesses de chargement de pages ne sont pas suffisamment rapides pour que la lecture soit confortable.
La population en ligne est par ailleurs extrêmement bien servie par les commerces de proximité. Car pour réussir sur le Net, « il faut soit proposer un produit moins cher avec un meilleur service, soit proposer un produit exclusif », explique Nathalie Lemonnier. Or, le Liban est un pays de services : quelle ménagère n’a pas dans son téléphone le numéro de tous les commerçants du quartier qui la livrent dans les minutes qui suivent son appel, avec une garantie sur la qualité de ses produits ? Il est dur de faire mieux sur Internet. Quant aux produits exclusifs, encore faut-il les trouver.
Un paiement compliqué
Le paiement en ligne est le deuxième gros handicap pour le développement du commerce en ligne. Pour les paiements locaux, le marché libanais est très peu mûr en termes de cartes de paiement. « Les cartes de débit/crédit n’ont été réellement introduites au Liban qu’il y a une dizaine d’années et elles ne sont pas encore la norme », rappelle Line Abou Nasr, de l’agence Vertical. Les gens ont encore du mal à payer avec leur carte, beaucoup préfèrent régler en liquide ou par chèque. Selon les statistiques de la Banque du Liban, il y a, à fin juin 2010, 1,7 million de cartes de paiement en circulation et le montant total des achats effectués par carte sur les six premiers mois de l’année s’est élevé à seulement 1,1 million de dollars. En comparaison, le montant des retraits s’est élevé à 2,3 milliards. Autre problème lié au paiement en ligne : le flou le plus artistique règne sur les droits des consommateurs, qui ne savent pas de quelle protection ils bénéficient en cas de fraude sur le Net. Sans compter que beaucoup de banques empêchent les transactions sur le Net, à moins de demander une carte spéciale prépayée dont le montant est plafonné. « Dans certains cas, le montant maximum autorisé par la banque est de 200 dollars, c’est ridicule, s’insurge Philippe Dagher, de Cash United. La plupart des personnes qui veulent payer par Internet peuvent et veulent dépenser plus que ça. » La situation n’est pas plus brillante lorsqu’une personne vivant à l’étranger veut payer sur un site libanais : la transaction échoue dans la majorité des cas, ce qui n’inspire pas confiance aux acheteurs internationaux, en décourage plus d’un et crée un manque à gagner important pour le e-commerce libanais. Beaucoup de sites, pour pallier à ce problème, acceptent d’autres moyens de paiement (comme les transferts), ou font appel à des passerelles de paiement internationales. Mais celles-ci ont des critères d’exigence qui ne peuvent pas être remplis par tous les acteurs du e-commerce local : certaines par exemple exigent d’avoir un compte à l’étranger.
Une logistique chère
D’un point de vue logistique, les entreprises qui font de la vente en ligne jugent que la Poste libanaise est peu fiable et ont donc recours à des services de courrier rapide tels Aramex ou DHL, à un coût relativement élevé. « Généralement, les frais de port sont les frais les mieux acceptés, mais ils sont quand même un frein à l’achat, surtout s’ils sont très élevés. Ils ne doivent pas dépasser un certain pourcentage du montant de produit que vous commandez », explique Nathalie Lemonnier.
La cible : les expatriés et au-delà
Toutes ces contraintes n’ont pas empêché certains sites libanais de se lancer. La guerre de juillet 2006 a même accéléré ce processus, en mettant à jour la nécessité de diversifier les sources de revenus pour assurer la survie des commerces. La première cible qui vient à l’esprit est la communauté expatriée : 15 millions de Libanais dans le monde nostalgiques de produits du pays. Les plus gros clients des sites interrogés sont les États-Unis, un peu l’Europe et l’Asie : « Là où la communauté expatriée est forte et n’a pas facilement accès à certains produits libanais », résume le propriétaire d’un site. À cette cible-là, les produits offerts sont des produits de fabrication libanaise, notamment de la nourriture et des fleurs (très populaires lors des occasions) : les sites BuyLebanese.com, exotica.com.lb, Rifai, etc. fonctionnent sur ce créneau. On pourrait ensuite penser que les sites d’e-commerce s’adresseraient au marché arabe, de par sa proximité géographique et culturelle avec lui ; mais le relatif retard de ce dernier pour tout ce qui est commerce électronique en fait un marché encore très étroit. Les sites tels Skileb, Hoojoozat et VirginTicketing Box Office misent cependant sur son expansion. Et, enfin, d’autres sites comme Grand Cinemas offrent un service destiné aux résidents, en complément de leur offre sur les points de vente physiques ; mais ils le font payer cher.
Une stratégie bancale
C’est l’un des problèmes majeurs du commerce en ligne libanais : sa stratégie en ligne est encore assez floue, en raison de son manque de maturité. Outre le fait qu’une bonne partie des sites impose une “taxe Internet” (Internet fee) de 3 % minimum – ce qui va à l’encontre de l’idée que les produits sur Internet coûtent moins cher que dans les points de vente physiques –, beaucoup ne sont pas bien référencés et ne font pas de publicité. Or « le référencement est incontournable, explique Lemonnier. C’est le générateur de trafic numéro un (de 50 à 90 %) pour un site, surtout si la marque n’existe que sur Internet ». Le référencement naturel s’obtient avec l’architecture du site : tags, contenus, titres, etc. : le processus est complexe et évolue très vite, « il faut que le site soit renouvelé », souligne Lemonnier ; ce que malheureusement peu de sites libanais ont su faire pour le moment. Le référencement payant (ces liens sponsorisés qu’on voit en encadré au-dessus de la liste des sites sur le moteur de recherche) est important lors des campagnes événementielles et ont l’avantage de faire remonter le référencement naturel. « La publicité est nécessaire pour construire l’image de marque et la notoriété », développe Lemonnier. Mais tant que le débit d’Internet ne sera pas à la hauteur, la culture du commerce en ligne ne pourra pas se développer au Liban, et l’architecture, l’ergonomie et le design des sites seront toujours à la traîne.
Qu’est-ce que le e-commerce ? Le e-commerce, également appelé commerce électronique et commerce en ligne, consiste à acheter et vendre des produits ou des services via des systèmes électroniques tels Internet ou autres réseaux d’ordinateurs. Il a commencé à se développer dans le monde avec l’introduction du haut débit et des protocoles de paiement sécurisés, dans les années 90. C’est devenu la principale route commerçante virtuelle du monde. |