Un article du Dossier

Chiffres-clés 2013 : l'économie au rythme de la crise syrienne

En 2013 comme lors des deux années précédentes, la croissance libanaise a été morose : elle aurait oscillé dans une fourchette comprise entre 0,9 % du PIB selon les estimations de la Banque mondiale – très proches de celles du Fonds monétaire international (+1 %) – et 2,5 % selon celles de la Banque centrale (BDL). L’indicateur synthétique moyen établi par cette dernière s’est apprécié de 2,1 % sur l’année, après la contraction remarquable connue en 2012
(-1,1 %). Si ces performances modestes achèvent de confirmer que la crise régionale a porté un terme au cycle de forte croissance (de l’ordre de 7 à 8 % par an) connu entre 2007 et 2010, la récession atteinte au second semestre de l’année 2012 ne s’est pas installée l’année suivante. Ce, en dépit d’une intensification des troubles sécuritaires dans le pays, de la multiplication des conflits sociaux autour de la rémunération des agents publics et de l’absence de gouvernement officiel pendant plus de dix mois…
Reste que les répercussions du conflit syrien ont continué d’affecter les moteurs traditionnels de l’activité libanaise. Le tourisme périclite en particulier : il subit les décisions de certains pays du Golfe de déconseiller à leurs ressortissants de se rendre au Liban ainsi que le contrecoup de la vague d’attentats terroristes qui ont frappé le pays. Le nombre de visiteurs s’est encore réduit de
7 % sur l’année, après les baisses à deux chiffres connues les deux années précédentes. L’essoufflement que connaît l’immobilier depuis 2011 s’est également poursuivi, avec une baisse d’environ 7 % du nombre de ventes, et ce en dépit des centaines de millions de dollars injectés par la Banque centrale dans le cadre d’un plan de stimulation qui a essentiellement bénéficié à ce secteur, aux dépens des activités productives. Mais les livraisons de ciment, principal indicateur de l’activité future du bâtiment, sont néanmoins remontées de 10 % après la baisse exceptionnelle de l’année précédente (-3,7 %). D’autres indicateurs ont également connu un léger regain après avoir chuté en 2012 : la valeur des chèques compensés a progressé de 1,9 % (-1,5 % en 2012), les importations d’équipements industriels se sont ressaisies (+4,2 % contre une baisse de 11,8 % en 2012) et même la production électrique a redécollé (+10,3 %).

L’investissement privé reste atone

Une situation contrastée qui se retrouve du côté de la demande domestique. En ce qui concerne la demande anticipée, rien ne va plus. L’investissement privé reste atone : en témoigne la baisse annuelle de 15 % en volume et de 14 % en valeur des prêts Kafalat, tandis que la confiance des consommateurs poursuit sa dégringolade, l’indice Byblos Bank/OSB ayant à nouveau baissé de 14 % en 2013 pour atteindre des plus bas historiques. La crise syrienne a sans doute produit néanmoins quelques effets positifs sur la consommation dans la mesure où l’afflux massif de réfugiés syriens – qui représentent désormais plus du quart de la population libanaise – a pu se traduire par un certain soutien à des secteurs tels que le logement locatif ou les produits de première nécessité. D’autres composantes de la demande interne ont également bien résisté en dépit du contexte : la dynamique des crédits bancaires, qui ont bénéficié majoritairement aux résidents, s’est par exemple maintenue à un rythme proche de l’année précédente (+9 %, soit environ un point de moins qu’en 2012). Le secteur automobile, lui, continue d’afficher un bilan en demi-teinte : la poursuite de la hausse des ventes de voitures neuves (+1,8 %) reste nettement inférieure à celle de l’année précédente et ne compense pas l’effondrement du marché de l’occasion.

Stimulus budgétaire

La demande a été également soutenue par la dépense publique, qui pèse près du tiers du PIB et s’est ultérieurement élargie d’environ 2 %. S’il s’est traduit par une aggravation de la mauvaise santé des comptes publics et du poids de la dette, ce stimulus budgétaire s’avère d’autant plus remarquable qu’il a été en partie alimenté par une hausse des dépenses d’investissement supérieure d’environ treize fois à celle des dépenses totales.
Ce maintien relatif de la demande est advenu dans un contexte de réduction de l’ouverture commerciale du pays. Las, cette contraction est surtout le fait des exportations, dont la valeur globale a baissé de 12 % sur l’année alors qu’elles n’avaient jusque-là pas pâti de la crise. La forte diminution, en valeur comme en volume, des produits joailliers (-55 %) ayant largement compensé les hausses observées sur d’autres produits. Comme ceux à destination du marché syrien, qui ont crû de près de 78 %, à 524 millions de dollars, dont 323 millions de dollars pour les seules hydrocarbures. S’y ajoutent d’importants flux de réexportations clandestines qui expliquaient jusque-là en grande partie la hausse des importations constatée les années précédentes. Si ce facteur syrien reste plus que jamais d’actualité, les importations globales sont restées relativement stables en valeur (-0,2 %), entraînant de facto une détérioration de la balance commerciale à environ 40 % du PIB.
La reprise sera-t-elle au rendez-vous pour 2014 ? En calculant la moyenne simple des prévisions établies par neuf organismes internationaux et privés, les auteurs du dernier rapport économique trimestriel de l’année 2013 publié par Bank Audi établissent un taux de croissance prévisionnel de 2,1 %. Une perspective légèrement plus optimiste que celles avancées par la Banque mondiale et le FMI (toutes deux incluses dans la moyenne précitée), respectivement de 1,5 % et 1 %. La poursuite de la stimulation monétaire par la BDL, qui a annoncé la mise en place d’un nouveau plan de 800 millions de dollars – dont la moitié est destinée aux secteurs créatifs dans le cadre de sa circulaire 331 (voir Le Commerce du Levant n° 5645) –, devrait contribuer à ce maintien relatif. Sur un plan conjoncturel, les nombreuses incertitudes planent sur la situation sécuritaire, le respect des échéances électorales ou l’environnement géopolitique régional devraient continuer de peser sur la confiance des agents. À cet égard, la Banque mondiale a prévu en septembre dernier que d’ici à la fin de l’année, 170 000 Libanais supplémentaires (+17 %) passeraient sous le seuil de pauvreté, tandis que le taux de chômage – qu’elle estimait alors à un niveau étonnamment faible de 11 % en l’absence de toute statistique fiable – pourrait presque doubler à 20 %. Des perspectives qui soulignent en creux l’urgence de réformes structurelles trop longtemps repoussées en période de croissance telles que le renforcement de la couverture sociale, la réforme administrative, la politique énergétique, la restructuration des télécommunications ou le redressement productif du pays.



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