Le boom des chambres d’hôtes
L’été est déjà là et l’on se demande où embarquer sa famille pour la dépayser le temps d’un week-end. Si vous n’avez pas de maison familiale ou si l’envie vous prend de découvrir de nouveaux coins du pays, une solution : louer une chambre d’hôte. Depuis quelques années, cette alternative à l’hôtellerie traditionnelle gagne du terrain au point qu’aujourd’hui le Liban en compte une bonne centaine dont certaines offrent une prestation qualitative, voire luxueuse.
Vieilles bâtisses beyrouthines, anciens palais ottomans, ou simples “chaumières” revisitées en séjours champêtres… L’offre de chambres d’hôte ne cesse de s’étoffer au Liban, surfant sur le succès de cette formule d’hébergement qui allie l’intime – l’accueil chez un hôte privé – au sentiment de dépaysement inhérent au tourisme.
Elles sont désormais une centaine sur l’ensemble du territoire toutes formules confondues (gîte rural, maison d’hôte, pension familiale…), contre une quarantaine en 2005, selon l’association Dhiafee, qui travaille à promouvoir le “tourisme rural”. À raison de trois à six chambres à louer en moyenne par gîte, les maisons d’hôte représenteraient 7 à 10 % de l’offre globale d’hébergement hôtelier, estimée à quelque 5 000 chambres d’hôtel dans tout le Liban, selon Hodema (Voir Le Commerce du Levant de décembre 2011). Une part relativement élevée, quand on sait, par exemple, qu’en France, où ce mode d’hébergement touristique est ancien et bien développé, elles représentent 12 % de l’offre totale.
Tourisme intérieur
L’accélération de la demande est récente. Elle date de trois à quatre ans, explique Orphée Haddad, fondateur du réseau L’Hôte libanais, qui regroupe une petite dizaine de ces maisons sur son site éponyme. « Initialement, ce type d’hébergement intéressait essentiellement les touristes occidentaux, à la recherche d’une interaction avec la population locale et désireux de découvrir les traditions libanaises. Dans un second temps, ce sont les résidents au Liban – Libanais ou expatriés – qui ont commencé à s’y intéresser. Curieux de découvrir les “trésors cachés” de leur propre pays, les Libanais, notamment les Beyrouthins, sont devenus également demandeurs d’escapades plus proches de la nature qui les éloignent de la frénésie citadine. Leurs attentes sont différentes de celles des étrangers : le cadre prend le dessus sur la seule interaction avec l’habitant », précise-t-il.
Ce tourisme intérieur s’impose d’année en année comme une alternative à l’hôtellerie traditionnelle, avec une offre de plus en plus qualitative, voire carrément luxueuse, pour certaines des adresses que Le Commerce du Levant a sélectionnées dans cette édition estivale. Piscine, décoration précieuse, accueil attentionné, petit déjeuner de rêve, parc avec flamands roses ou faons qui gambadent… On est très loin des premiers gîtes chez l’habitant, qui se sont ouverts il y a une dizaine d’années, portés par la demande d’une frange d’Européens. « Alors que l’hôtellerie classique est en crise, avec une chute d’environ 50 % du nombre de nuitées enregistrées, la niche des gîtes est en pleine explosion, au point que certains ont leurs week-ends réservés sur tout l’été dès le mois de mai », explique Naji Morkos, PDG d’Hodema, le cabinet de conseil et de services spécialisés dans la restauration et l’hôtellerie, partenaire du Commerce du Levant pour cette sélection des meilleures chambres d’hôte du pays.
Si plusieurs facteurs expliquent ce paradoxe apparent, l’un d’entre eux prédomine : la vétusté de certaines structures hôtelières classiques, coûteuses à entretenir, en particulier celles qui n’appartiennent pas à des groupes. Les maisons d’hôte, et spécialement celles qui se dédient à la clientèle de luxe, les concurrencent frontalement en proposant à un prix similaire des prestations et une qualité de service supérieures. « Aujourd’hui, les hôtels classiques situés hors de la capitale survivent en organisant des rendez-vous d’affaires, des salons ou des mariages. Cela leur amène une clientèle captive, qui ne fait pas bon ménage avec les touristes, peu désireux, par exemple, d’entendre de la musique jusqu’à trois heures du matin alors qu’ils rêvaient d’une “escapade zen” loin de la fureur de Beyrouth », décrypte Naji Morkos.
L’activité des chambres d’hôte est régie par un décret récent de 2011 (voir encadré). Mais la plupart des professionnels interrogés déplorent toutefois son manque de précision : cette législation ne distingue pas entre les différentes formes de tourisme rural : une chambre louée dans une maison de village pour un randonneur du Lebanon Mountain Trail, qu’on appellerait en France un gîte, n’est ainsi pas différenciée d’une véritable maison d’hôte. « Il y a également une autre confusion à éviter : celle qui consiste à limiter les maisons d’hôte au “tourisme vert”. Bien évidemment, des interactions existent. Mais les réduire à cette dimension, c’est amputer le secteur de tout un pan de son évolution potentielle, en particulier dans les villes », précise Orphée Haddad. On compte déjà plusieurs maisons d’hôte citadines au Liban.
La création d’un label pourrait faciliter la catégorisation de l’offre, à la manière de ce qui existe ailleurs dans le monde. En France, par exemple, les maisons d’hôte sont quasiment toutes labellisées 3, 4 ou 5 “épis” (voire “clés”). Ces différents niveaux les classent selon leur niveau de confort et de services. Mais d’autres normes existent en France comme Clévacances, Fleurs de soleil, Accueil paysan, Bienvenue au château… qui distinguent le type d’hébergement en fonction de la cible : familles, adeptes de la campagne, nostalgiques des nobles bâtisses… « Cela pourrait être un pas en avant », reconnaît Maysoun Corbane, la coordinatrice de Dhiafee, qui prépare le lancement d’un site Web pour référencer toutes les structures de logements alternatifs. Mais avant d’en arriver à pareille typologie, la jeune femme songe à une autre priorité : professionnaliser l’accueil. « Nous avons sélectionné une trentaine de gîtes, que nous épaulons dans leur montée en compétences : on travaille sur la notion d’accueil, sur la qualité des petits déjeuners, la standardisation des prestations… » Il y a urgence : aujourd’hui, certaines de ces maisons d’hôte dépassent les 10 chambres, d’autres ressemblent beaucoup plus à de petits hôtels…
Un portrait robot hétérogène
Qui sont les propriétaires de ces chambres d’hôte ? « Des hommes et des femmes passionnés ! » répond Naji Morkos. Les hôtes ont presque tous une “belle histoire” à raconter. Comme Houssam Eid, employé de la Réserve naturelle du Chouf, qui loue une chambre, pour 35 dollars la nuit, dans sa maison familiale de Aïn Zhalta dans le Chouf « pour le plaisir de partager et de rencontrer ». Ce petit supplément d’âme, c’est ce qui fait le succès de ce type d’hébergement dans un pays où les barrières sociales, voire confessionnelles empêchent souvent la rencontre. Houssam Eid avoue avoir gagné un joli revenu quand il a démarré il y a une dizaine d’années : « À l’époque où les Européens venaient encore. » Mais cette année, s’il parvient à gagner 1 000 dollars « c’est le bout du monde ».
Difficile de donner une moyenne du revenu complémentaire que ces propriétaires peuvent escompter de leur activité de location. Maysoun Corbane pense que les chambres louées peuvent représenter en moyenne 30 % des revenus d’une famille, soit tout de même un joli revenu complémentaire. Mais les variations sont grandes d’une région à l’autre ou d’une période à l’autre, compte tenu des aléas du tourisme, très sensible aux incertitudes régionales. « Un gîte dans le Akkar ou dans la Békaa est actuellement peu demandé, alors que certains dans le Chouf ou le Mont-Liban sont réservés presque chaque week-end. »
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D’autres toutefois en ont fait une activité beaucoup plus rentable qui leur procure des revenus oscillant entre 30 000 et 50 000 dollars par an, voire plus de 50 000 dollars. « Mon taux d’occupation avoisine les 80 % », confie Philippe Tabet, promoteur immobilier, et heureux propriétaire de Dar Alma, une maison d’hôte de neuf chambres à Tyr. Quand il a acheté la maison mitoyenne de celle de sa famille dans la vieille ville de Tyr, Philippe Tabet, qui a investi 1,7 million de dollars pour l’achat du bâtiment et sa réhabilitation, a pensé d’abord à sauver un élément du patrimoine de sa ville d’origine, à laquelle il reste très attaché. « Cette maison a été un coup de cœur acheté sur un coup de tête : j’en rêvais quand j’étais enfant, car elle avait un accès à la mer. Quand elle a été en vente, je n’ai pas discuté le prix. Je la voulais », dit-il. Mais l’opération a aussi une dimension financière intéressante : transformer cette bâtisse en maison d’hôte lui permet de rentabiliser vite son investissement. « Nous espérons que d’ici six à sept ans, l’investissement, qui a en partie été financé par un prêt Kafalat, sera amorti. »
Autre question de poids : les chambres d’hôte participent-elles à l’équilibre socio-économique des régions ? La réponse reste incertaine. Certains organismes comme Dhiafee veulent le croire. « Dans certaines zones excentrées, la clientèle des chambres d’hôte permet aux restaurants et aux artisans du coin de survivre », assure Maysoun Corbane. Mais le retour d’expérience direct des propriétaires de maisons d’hôte montre que le système fonctionne en vase clos. « Quand des clients réservent chez nous, c’est vraiment dans l’idée de s’isoler totalement du reste du monde. Alors oui, peut-être les restaurants profitent-ils de cette manne, mais cela reste encore un épiphénomène », prévient Khalil Arab, qui ouvre sa maison al-Yasmine, située dans l’arrière-pays de Tyr, aux gens de passage. Dommage !
Un cadre légal minimal Conscient de l’engouement pour les maisons d’hôte, le gouvernement a adopté un premier décret en 2011 (n° 6298) pour encadrer ce mode d’hébergement alternatif. Cette réglementation définit a minima ce que doit être une maison d’hôte, c’est-à-dire une « maison libanaise privée habilitée à accueillir les amateurs de sports se pratiquant dans la nature et de tourisme environnemental et culturel ». Le décret ajoute que celles-ci « se situent dans les régions et villages libanais, et font connaître aux touristes étrangers et libanais les traditions populaires, la vie quotidienne et la cuisine libanaises ». Le décret précise également que le nombre de chambres à louer ne doit pas excéder dix. Aucune exigence particulière n’est en revanche prévue en matière d’accueil (salle de bains privative par exemple) ou de sécurité (pas d’obligation de portes coupe-feu) contrairement à la législation des hôtels plus contraignante. Ce qui, pour certains, présente un vrai avantage sans compter que les propriétaires de maisons d’hôte peuvent employer des saisonniers contrairement aux hôtels qui sont tenus d’enregistrer leurs salariés à la Caisse nationale de Sécurité sociale. Cette définition est, pour l’essentiel, similaire à celle adoptée dans des pays précurseurs de ce secteur. Ainsi, en France, l’article L.324-3 du code du tourisme définit les chambres d’hôte comme des « chambres meublées situées chez l’habitant en vue d’accueillir des touristes, à titre onéreux, pour une ou plusieurs nuitées, assorties de prestations ». « Du point de vue de la loi, la différence entre le concept français, dont le décret libanais s’inspire, et le modèle anglo-saxon est en pratique quasi inexistante, selon Orphée Haddad de L’Hôte libanais, si ce n’est qu’il y a tendance à considérer que les “bed & breakfasts” sont de plus petite dimension – et moins chers – que les guesthouses ou chambres d’hôte », explique t-il. |