Un article du Dossier
Start-up : les Libanais à la conquête de New York
Les entrepreneurs libanais installés à New York sont encore rares. Quelques start-up pionnières tentent l’aventure, attirées par les opportunités qu’offre la grosse pomme et séduites par la présence d’une communauté tech très soudée.
En mai de cette année, quelques centaines de personnes ont convergé à l’hôtel Plaza de New York pour StartUp Lebanon, la première conférence dédiée aux entrepreneurs libanais organisée dans la grosse pomme. Parmi eux, une quinzaine d’entrepreneurs libanais installés à New York ; certains depuis plusieurs années, mais la plupart fraîchement débarqués.
Si les Libanais font parler d’eux depuis quelques années dans la Silicon Valley – on pense à Tony Fadell, d’Apple et Nest, et à Élie Khoury, de Woopra –, ceux qui ont choisi de tenter l’aventure à New York sont moins nombreux. « C’est la première fois que je rencontre d’autres entrepreneurs libanais installés ici », s’exclame Mustapha Baasiri, cofondateur d’Advizr, une start-up de conseil financier.
Et pour cause. La scène entrepreneuriale new-yorkaise est beaucoup plus récente que sa consœur de l’Ouest américain. La ville commence tout juste à encourager les start-up à s’y développer et les fonds de capital-risque à s’y installer, encouragés par les succès de pionniers tels Kickstarter (la plate-forme de financement participatif en ligne) et Foursquare (l’application de recherche localisée personnalisée). Mais les résultats sont déjà là. L’année dernière, la grosse pomme a attiré plus de trois milliards de dollars d’investissements en capital risque. Cela reste moins que la Silicon Valley (plus de 13 milliards annuels), mais ce chiffre est en forte croissance. Et New York a réussi à se positionner à la pointe mondiale : en 2014, elle est classée cinquième plus grand écosystème de start-up dans le monde, d’après une étude de Startup Genome, un projet collaboratif de recherche et de développement sur les start-up. « New York mise sur les secteurs de la finance et des nouveaux médias, dans lesquels elle a des avantages comparatifs, et n’a pas cherché à battre San Francisco sur son propre terrain », explique Habib Keyrouz, partenaire et gérant du fonds d’investissement américain Rho Ventures.
Ajoutez à cela une vie culturelle bouillonnante, des universités de très haut niveau, une composition démographique très internationale et variée : il n’en faut pas plus pour que quelques pionniers libanais décident de s’y lancer.
Des acharnés de travail
Qu’il s’agisse d’étudiants qui ont choisi de rester aux États-Unis le diplôme en poche, d’employés d’entreprises basées à New York ou de purs entrepreneurs, tous ces Libanais ont en commun de toucher de près ou de très près la programmation informatique et d’être des acharnés de travail. D’une certaine façon New York impose ce profil, avec ses semaines de travail de 60 heures qui sont monnaie courante. Mais dans l’univers des start-up, le trait est encore plus marqué. Ayah Bdeir, la créatrice de la société de legos électroniques LittleBits, en témoigne lors de la conférence : « Lorsque j’ai démarré ma société, je ne sortais pas, je ne prenais pas de vacances, je n’avais pratiquement pas de vie sociale. » Pour enfoncer le clou, beaucoup d’entrepreneurs ont lancé leur start-up en parallèle de leur travail à temps plein. C’est notamment le cas de Karim Atiyeh, cofondateur de Paribus, qui développait le concept (et le code !) de sa start-up le soir et les week-ends. Ou encore de Chafic Kazoun, cofondateur de B-Line Medical, une entreprise spécialisée dans la simulation médicale. « Au début, j’allais à huit conférences par an, j’écrivais mes livres tout en lançant une entreprise. J’étais très occupé, mais c’était très excitant de lancer un produit en avance sur son temps. »
Aux États-Unis, tous apprécient le fait d’être entourés de gens semblables à eux, intelligents, connectés et désireux de collaborer. La communauté tech est en effet très soudée, avec ses forums et ses réseaux d’entraide en ligne. Chafic Kazoun, l’un des premiers à être venu aux États-Unis, explique : « J’essaie de faire des choses qui sortent de l’ordinaire ; j’ai besoin de me sentir stimulé, d’appartenir à une communauté, qui n’existe pas au Liban. Ici, je suis entouré de personnes semblables, ce qui m’incite à rester humble et affamé. »
Pour ceux qui n’ont pas la nationalité américaine ou la green card, le fait d’être étranger n’est pas un problème. « Les investisseurs américains ne regardent pas la nationalité des fondateurs de start-up, ils investissent dans une idée, un business », affirme Danny Abla, fondateur de Pin-Pay au Liban, qui tente de lancer Shoop, une application d’achats en ligne, aux États-Unis.
Les débuts d’une communauté ?
Toutes les start-up interrogées pour ce dossier sont domiciliées dans une des grandes villes des États-Unis ou dans un paradis fiscal comme le Delaware, favori des fonds de capital-risque. La plupart ont des partenaires américains et n’ont pas eu le réflexe de se rapprocher d’autres Libanais. Beaucoup ne se connaissaient même pas avant la conférence du mois de mai. « Le réseau d’entrepreneurs libanais à New York est encore embryonnaire. Cela reste difficile pour les Libanais d’y lever des fonds, surtout par rapport à la Valley », analyse Danny Abla.
Sur la côte Ouest, les Libanais travaillant dans la tech se sont regroupés dans diverses associations et divers réseaux d’entraide, le plus célèbre d’entre eux étant Lebnet, fondé en 1999, qui compte environ 400 membres, majoritairement basés dans la Silicon Valley, mais également dans le reste du pays et au Canada.
À New York, ces contacts et réseaux d’entraide restent le fruit d’initiatives isolées. Danny Abla a par exemple bénéficié du soutien de Habib Keyrouz, qui l’a aidé à mettre en œuvre sa stratégie. Pour la réalisation de son film promotionnel, Karim Atiyeh a quant à lui fait appel à Cyril Aris, le réalisateur de “Beirut, I love you (I love you not)”, basé à New York depuis 2012.
Des liens avec le Liban
Pour beaucoup de ces jeunes entrepreneurs de 25 à 40 ans dont la famille est toujours au Liban, il est important de préserver des liens avec leur pays d’origine, surtout pour y instiller les valeurs qu’ils estiment nécessaires à la réussite de ce nouvel écosystème.
« Des jeunes comme moi doivent pouvoir rester à Beyrouth, affirme Chafic Kazoun. Le Liban a pratiquement tout pour y arriver : des gens intelligents, éduqués, créatifs et entrepreneurs. Il faut juste davantage de stabilité, de réflexion à long terme et de détermination. »
Ainsi qu’un changement de culture : celle de la peur de l’échec, omniprésente dans le système éducatif libanais, qui freine l’esprit d’entreprise. « Au Liban, en cas d’échec, on vous lancera : je te l’avais bien dit, alors qu’aux États-Unis, les sociétés voudront t’embaucher pour les compétences que tu as acquises », dit Danny Abla. « Le modèle de capital-risque repose sur le fait que sur 30 sociétés, un tiers font faillite et trois marchent bien. Il faut une culture de l’échec pour gérer cela », martèle Habib Keyrouz.
Si les Libanais font parler d’eux depuis quelques années dans la Silicon Valley – on pense à Tony Fadell, d’Apple et Nest, et à Élie Khoury, de Woopra –, ceux qui ont choisi de tenter l’aventure à New York sont moins nombreux. « C’est la première fois que je rencontre d’autres entrepreneurs libanais installés ici », s’exclame Mustapha Baasiri, cofondateur d’Advizr, une start-up de conseil financier.
Et pour cause. La scène entrepreneuriale new-yorkaise est beaucoup plus récente que sa consœur de l’Ouest américain. La ville commence tout juste à encourager les start-up à s’y développer et les fonds de capital-risque à s’y installer, encouragés par les succès de pionniers tels Kickstarter (la plate-forme de financement participatif en ligne) et Foursquare (l’application de recherche localisée personnalisée). Mais les résultats sont déjà là. L’année dernière, la grosse pomme a attiré plus de trois milliards de dollars d’investissements en capital risque. Cela reste moins que la Silicon Valley (plus de 13 milliards annuels), mais ce chiffre est en forte croissance. Et New York a réussi à se positionner à la pointe mondiale : en 2014, elle est classée cinquième plus grand écosystème de start-up dans le monde, d’après une étude de Startup Genome, un projet collaboratif de recherche et de développement sur les start-up. « New York mise sur les secteurs de la finance et des nouveaux médias, dans lesquels elle a des avantages comparatifs, et n’a pas cherché à battre San Francisco sur son propre terrain », explique Habib Keyrouz, partenaire et gérant du fonds d’investissement américain Rho Ventures.
Ajoutez à cela une vie culturelle bouillonnante, des universités de très haut niveau, une composition démographique très internationale et variée : il n’en faut pas plus pour que quelques pionniers libanais décident de s’y lancer.
Des acharnés de travail
Qu’il s’agisse d’étudiants qui ont choisi de rester aux États-Unis le diplôme en poche, d’employés d’entreprises basées à New York ou de purs entrepreneurs, tous ces Libanais ont en commun de toucher de près ou de très près la programmation informatique et d’être des acharnés de travail. D’une certaine façon New York impose ce profil, avec ses semaines de travail de 60 heures qui sont monnaie courante. Mais dans l’univers des start-up, le trait est encore plus marqué. Ayah Bdeir, la créatrice de la société de legos électroniques LittleBits, en témoigne lors de la conférence : « Lorsque j’ai démarré ma société, je ne sortais pas, je ne prenais pas de vacances, je n’avais pratiquement pas de vie sociale. » Pour enfoncer le clou, beaucoup d’entrepreneurs ont lancé leur start-up en parallèle de leur travail à temps plein. C’est notamment le cas de Karim Atiyeh, cofondateur de Paribus, qui développait le concept (et le code !) de sa start-up le soir et les week-ends. Ou encore de Chafic Kazoun, cofondateur de B-Line Medical, une entreprise spécialisée dans la simulation médicale. « Au début, j’allais à huit conférences par an, j’écrivais mes livres tout en lançant une entreprise. J’étais très occupé, mais c’était très excitant de lancer un produit en avance sur son temps. »
Aux États-Unis, tous apprécient le fait d’être entourés de gens semblables à eux, intelligents, connectés et désireux de collaborer. La communauté tech est en effet très soudée, avec ses forums et ses réseaux d’entraide en ligne. Chafic Kazoun, l’un des premiers à être venu aux États-Unis, explique : « J’essaie de faire des choses qui sortent de l’ordinaire ; j’ai besoin de me sentir stimulé, d’appartenir à une communauté, qui n’existe pas au Liban. Ici, je suis entouré de personnes semblables, ce qui m’incite à rester humble et affamé. »
Pour ceux qui n’ont pas la nationalité américaine ou la green card, le fait d’être étranger n’est pas un problème. « Les investisseurs américains ne regardent pas la nationalité des fondateurs de start-up, ils investissent dans une idée, un business », affirme Danny Abla, fondateur de Pin-Pay au Liban, qui tente de lancer Shoop, une application d’achats en ligne, aux États-Unis.
Les débuts d’une communauté ?
Toutes les start-up interrogées pour ce dossier sont domiciliées dans une des grandes villes des États-Unis ou dans un paradis fiscal comme le Delaware, favori des fonds de capital-risque. La plupart ont des partenaires américains et n’ont pas eu le réflexe de se rapprocher d’autres Libanais. Beaucoup ne se connaissaient même pas avant la conférence du mois de mai. « Le réseau d’entrepreneurs libanais à New York est encore embryonnaire. Cela reste difficile pour les Libanais d’y lever des fonds, surtout par rapport à la Valley », analyse Danny Abla.
Sur la côte Ouest, les Libanais travaillant dans la tech se sont regroupés dans diverses associations et divers réseaux d’entraide, le plus célèbre d’entre eux étant Lebnet, fondé en 1999, qui compte environ 400 membres, majoritairement basés dans la Silicon Valley, mais également dans le reste du pays et au Canada.
À New York, ces contacts et réseaux d’entraide restent le fruit d’initiatives isolées. Danny Abla a par exemple bénéficié du soutien de Habib Keyrouz, qui l’a aidé à mettre en œuvre sa stratégie. Pour la réalisation de son film promotionnel, Karim Atiyeh a quant à lui fait appel à Cyril Aris, le réalisateur de “Beirut, I love you (I love you not)”, basé à New York depuis 2012.
Des liens avec le Liban
Pour beaucoup de ces jeunes entrepreneurs de 25 à 40 ans dont la famille est toujours au Liban, il est important de préserver des liens avec leur pays d’origine, surtout pour y instiller les valeurs qu’ils estiment nécessaires à la réussite de ce nouvel écosystème.
« Des jeunes comme moi doivent pouvoir rester à Beyrouth, affirme Chafic Kazoun. Le Liban a pratiquement tout pour y arriver : des gens intelligents, éduqués, créatifs et entrepreneurs. Il faut juste davantage de stabilité, de réflexion à long terme et de détermination. »
Ainsi qu’un changement de culture : celle de la peur de l’échec, omniprésente dans le système éducatif libanais, qui freine l’esprit d’entreprise. « Au Liban, en cas d’échec, on vous lancera : je te l’avais bien dit, alors qu’aux États-Unis, les sociétés voudront t’embaucher pour les compétences que tu as acquises », dit Danny Abla. « Le modèle de capital-risque repose sur le fait que sur 30 sociétés, un tiers font faillite et trois marchent bien. Il faut une culture de l’échec pour gérer cela », martèle Habib Keyrouz.
Ayah Bdeir lève 44,2 millions de dollars pour LittleBits Ayah Bdeir, fondatrice de LittleBits, la société de Lego électroniques n’a pas eu le temps de recevoir Le Commerce du Levant pour ce dossier. Et pour cause : elle vient de lever 44,2 millions de dollars auprès de divers investisseurs américains et de Wamda, le fonds de capital-risque spécialisé dans les investissements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cette levée de fonds s’accompagne de l’arrivée de nouveaux membres au conseil d’administration et à la direction exécutive de la société lancée en 2011. D’anciens poids lourds de Lego, de MarkerBot (le spécialiste de l’imprimerie 3D pour particuliers) et du commerce en ligne, de l’éducation et de la logistique vont gérer le marketing, le développement et la stratégie de LittleBits. Basée à New York, Ayah Bdeir compte utiliser ce nouvel apport en capital pour investir davantage dans la distribution de ses produits dans les réseaux éducatifs (selon LittleBits, plus de 8 000 enseignants dans 70 pays utilisent déjà ses kits en classe), se développer à l’international et augmenter les partenariats avec les entreprises. LittleBits mise beaucoup sur les espaces créatifs, au sein ou en dehors des entreprises, pour développer son marché. Par exemple, General Electrics utilise LittleBits dans ses “Garages GE”, des ateliers organisés dans diverses villes du monde et destinés aux inventeurs de toute sorte. Ils y travaillent sur des concepts d’imprimerie 3D, y font de la programmation ou créent des prototypes. La société compte également étendre sa présence sur le segment du retail, en distribuant ses produits dans les librairies Barnes and Nobles aux États-Unis. Jusque-là, LittleBits avait levé 15,6 millions de dollars lors de quatre augmentations de capital successives. |