Un article du Dossier
Les restaurants libanais à la conquête de New York
Entre 2013 et 2015, cinq restaurants libanais ont ouvert à Manhattan, ce qui porte leur nombre à un peu moins d’une dizaine aujourd’hui. C’est peu comparé aux 33 000 restaurants de New York. Mais pendant longtemps, la cuisine libanaise n’était représentée que par deux restaurants : al-Bustan et Byblos, qui ont tous les deux ouvert en 1990. Avant eux, quelques autres restaurants libanais avaient commencé à faire connaître la cuisine libanaise aux Américains : Beirut, al-Amine, Cedars of Lebanon… Tous faisaient valoir leur héritage et leurs recettes traditionnelles pour séduire une clientèle principalement composée d’hommes d’affaires et de diplomates à la recherche de nourriture de qualité.
En 2007, l’ouverture de Ilili, sur la 5e avenue, change le ton. En se positionnant d’emblée sur le haut de gamme et en s’octroyant la liberté d’innover, Ilili amorce l’arrivée d’une jeune génération de restaurateurs libanais. Naya ouvre ses portes en 2009 et, dès 2012, développe le concept de Naya Express, modelé sur l’exemple de Chipotle (voir encadré). Balade ouvre en 2010, Almayass en 2012, Manousheh en 2014 et Semsom Eatery en 2015. Ils sont tous à l’aise avec l’idée de s’affranchir de la cuisine traditionnelle pour mieux répondre aux goûts de leurs consommateurs : Ilili a par exemple expérimenté des falafels mexicains ; Balade a inventé une pita pizza ; Manousheh a intégré de l’avocat, grand favori des healthionistas new-yorkais, à ses manoushés, etc.
Une concurrence perçue positivement par les acteurs de ce segment naissant du marché. « New York compte plus de 5 000 restaurants italiens, tous rentables, affirme Élias Ghafary, d’al-Bustan. Il y a 16 millions de personnes à nourrir dans la ville la journée, 8 millions la nuit. » « Plus on est nombreux, plus on fera connaître la cuisine libanaise », renchérit Saba Kachouch, de Byblos.
Une réputation de cuisine saine
L’expansion de la cuisine libanaise à New York coïncide avec la prise de conscience américaine de l’importance du manger sain. Les chaînes de restaurants proposant des salades, des soupes, et des produits fermiers et biologiques ont explosé ces dernières années. La cuisine méditerranéenne, avec sa multitude de plats à partir de légumes et son recours à des ingrédients frais, bénéficie d’une réputation de qualité qui est dans l’air du temps. « La nourriture méditerranéenne a une connotation saine, contrairement à la nourriture moyen-orientale qui a une connotation fast-food », souligne Carine Assouad, directrice de Semsom aux États-Unis.
Philippe Massoud, directeur général et chef exécutif d’Ilili, concorde : « La nourriture de la région vient de l’Empire ottoman. Sa version libanaise est plus fraîche et contient moins d’épices, on respecte davantage les ingrédients que nos voisins. Notre cuisine est perçue comme accessible, simple, saine. »
Ce préjugé favorable ne dispense pas les restaurateurs libanais d’un travail d’éducation. Ne serait-ce que parce que la clientèle new-yorkaise est extrêmement cosmopolite : près de 36 % de ses 8,5 millions d’habitants sont nés à l’étranger, on y parle plus de 800 langues et dialectes, et la ville attire plus de 50 millions de touristes par an. Or, bien évidemment, les restaurants libanais ne se limitent pas à la clientèle libanaise, « bien trop étroite », selon Roland Semaan, de Balade.
Avec la nécessité d’éduquer le consommateur, vient le besoin de recruter et de former des équipes performantes. Ce qui n’est pas chose aisée dans un métier vécu souvent comme une expérience temporaire aux États-Unis, avec un taux de rotation du personnel très élevé. « C’est très dur de recruter », affirme Ziad Hermez, heureux propriétaire de Manousheh. Mario Arakélian, gérant du restaurant libano-arménien Almayass, doit par exemple être sûr que son personnel peut expliquer les 70 (!) différents plats proposés à la carte.
Un long processus
La recherche de l’emplacement idéal est également cruciale. Les délais sont longs, ne serait-ce que parce que les nouveaux venus se retrouvent en concurrence avec les grandes chaînes américaines comme Chipotle et Hale and Hearty Soups, aux moyens considérables. Carine Assouad, actuellement à la recherche de nouveaux emplacements pour Semsom Eatery, mentionne qu’en un an, les loyers ont augmenté de 20 %, tellement la demande est forte. S’y ajoutent des délais de formalités administratives et de construction très longs : souvent entre un an et un an et demi. « Les consignes du département de santé poussent tout le monde à être très attentif, ce qui est essentiel lorsqu’on travaille avec de la nourriture fraîche », nuance Hady Kfoury, de Naya.
Un peu par hasard, quasi tous les restaurants libanais de Manhattan se sont retrouvés dans l’est de la ville, en dessous de Central Park : vers les quartiers d’affaires de Midtown, près du siège de l’Organisation des Nations unies (Onu) et des ambassades, ou dans les quartiers résidentiels du sud de l’île, ou encore pas loin de l’Université de NYU.
Mais l’emplacement physique n’est pas tout. Les restaurants libanais ne peuvent échapper à la livraison en ligne, grande favorite des New-Yorkais. « Environ 63 % des Américains commandent en ligne de la cuisine ethnique au moins une fois par semaine », affirme Carine Assouad. Les restaurants libanais proposent donc leurs menus sur les sites et les applications de commande en ligne, tels Seamless et Postmates. Entre 10 à 40 % de leur chiffre d’affaires est réalisé de cette manière.
À la conquête du marché américain
Les nouveaux entrants se différencient de leurs aînés par leur volonté de conquête du marché américain. Ils n’hésitent pas à modifier leur structure et s’inspirer des chaînes américaines à succès afin d’accélérer leur développement.
Ilili, un restaurant haut de gamme, a par exemple fait des petits : ses Ililibox sont des kiosques de nourriture libanaise à emporter. Naya également plutôt haut de gamme a développé Naya Express, qui suit un modèle à la Chipotle. Et même Balade est sur la bonne voie pour ouvrir des Balade Express, sur le même modèle. Que ce soient Ilili, Semsom, Naya, Balade, Almayass ou Manoushe, tous ont le projet, plus ou moins avancé, d’ouvrir d’autres restaurants à New York, voire aux États-Unis, de lancer des franchises et plus globalement de lancer sur le marché américain une chaîne de restauration libanaise.
Une ambition qui semble intéresser de nombreux investisseurs moyen-orientaux. Car la patrie de l’Oncle Sam compte 300 millions d’habitants et son secteur F&B pèse 660 milliards de dollars par an.
En 2007, l’ouverture de Ilili, sur la 5e avenue, change le ton. En se positionnant d’emblée sur le haut de gamme et en s’octroyant la liberté d’innover, Ilili amorce l’arrivée d’une jeune génération de restaurateurs libanais. Naya ouvre ses portes en 2009 et, dès 2012, développe le concept de Naya Express, modelé sur l’exemple de Chipotle (voir encadré). Balade ouvre en 2010, Almayass en 2012, Manousheh en 2014 et Semsom Eatery en 2015. Ils sont tous à l’aise avec l’idée de s’affranchir de la cuisine traditionnelle pour mieux répondre aux goûts de leurs consommateurs : Ilili a par exemple expérimenté des falafels mexicains ; Balade a inventé une pita pizza ; Manousheh a intégré de l’avocat, grand favori des healthionistas new-yorkais, à ses manoushés, etc.
Une concurrence perçue positivement par les acteurs de ce segment naissant du marché. « New York compte plus de 5 000 restaurants italiens, tous rentables, affirme Élias Ghafary, d’al-Bustan. Il y a 16 millions de personnes à nourrir dans la ville la journée, 8 millions la nuit. » « Plus on est nombreux, plus on fera connaître la cuisine libanaise », renchérit Saba Kachouch, de Byblos.
Une réputation de cuisine saine
L’expansion de la cuisine libanaise à New York coïncide avec la prise de conscience américaine de l’importance du manger sain. Les chaînes de restaurants proposant des salades, des soupes, et des produits fermiers et biologiques ont explosé ces dernières années. La cuisine méditerranéenne, avec sa multitude de plats à partir de légumes et son recours à des ingrédients frais, bénéficie d’une réputation de qualité qui est dans l’air du temps. « La nourriture méditerranéenne a une connotation saine, contrairement à la nourriture moyen-orientale qui a une connotation fast-food », souligne Carine Assouad, directrice de Semsom aux États-Unis.
Philippe Massoud, directeur général et chef exécutif d’Ilili, concorde : « La nourriture de la région vient de l’Empire ottoman. Sa version libanaise est plus fraîche et contient moins d’épices, on respecte davantage les ingrédients que nos voisins. Notre cuisine est perçue comme accessible, simple, saine. »
Ce préjugé favorable ne dispense pas les restaurateurs libanais d’un travail d’éducation. Ne serait-ce que parce que la clientèle new-yorkaise est extrêmement cosmopolite : près de 36 % de ses 8,5 millions d’habitants sont nés à l’étranger, on y parle plus de 800 langues et dialectes, et la ville attire plus de 50 millions de touristes par an. Or, bien évidemment, les restaurants libanais ne se limitent pas à la clientèle libanaise, « bien trop étroite », selon Roland Semaan, de Balade.
Avec la nécessité d’éduquer le consommateur, vient le besoin de recruter et de former des équipes performantes. Ce qui n’est pas chose aisée dans un métier vécu souvent comme une expérience temporaire aux États-Unis, avec un taux de rotation du personnel très élevé. « C’est très dur de recruter », affirme Ziad Hermez, heureux propriétaire de Manousheh. Mario Arakélian, gérant du restaurant libano-arménien Almayass, doit par exemple être sûr que son personnel peut expliquer les 70 (!) différents plats proposés à la carte.
Un long processus
La recherche de l’emplacement idéal est également cruciale. Les délais sont longs, ne serait-ce que parce que les nouveaux venus se retrouvent en concurrence avec les grandes chaînes américaines comme Chipotle et Hale and Hearty Soups, aux moyens considérables. Carine Assouad, actuellement à la recherche de nouveaux emplacements pour Semsom Eatery, mentionne qu’en un an, les loyers ont augmenté de 20 %, tellement la demande est forte. S’y ajoutent des délais de formalités administratives et de construction très longs : souvent entre un an et un an et demi. « Les consignes du département de santé poussent tout le monde à être très attentif, ce qui est essentiel lorsqu’on travaille avec de la nourriture fraîche », nuance Hady Kfoury, de Naya.
Un peu par hasard, quasi tous les restaurants libanais de Manhattan se sont retrouvés dans l’est de la ville, en dessous de Central Park : vers les quartiers d’affaires de Midtown, près du siège de l’Organisation des Nations unies (Onu) et des ambassades, ou dans les quartiers résidentiels du sud de l’île, ou encore pas loin de l’Université de NYU.
Mais l’emplacement physique n’est pas tout. Les restaurants libanais ne peuvent échapper à la livraison en ligne, grande favorite des New-Yorkais. « Environ 63 % des Américains commandent en ligne de la cuisine ethnique au moins une fois par semaine », affirme Carine Assouad. Les restaurants libanais proposent donc leurs menus sur les sites et les applications de commande en ligne, tels Seamless et Postmates. Entre 10 à 40 % de leur chiffre d’affaires est réalisé de cette manière.
À la conquête du marché américain
Les nouveaux entrants se différencient de leurs aînés par leur volonté de conquête du marché américain. Ils n’hésitent pas à modifier leur structure et s’inspirer des chaînes américaines à succès afin d’accélérer leur développement.
Ilili, un restaurant haut de gamme, a par exemple fait des petits : ses Ililibox sont des kiosques de nourriture libanaise à emporter. Naya également plutôt haut de gamme a développé Naya Express, qui suit un modèle à la Chipotle. Et même Balade est sur la bonne voie pour ouvrir des Balade Express, sur le même modèle. Que ce soient Ilili, Semsom, Naya, Balade, Almayass ou Manoushe, tous ont le projet, plus ou moins avancé, d’ouvrir d’autres restaurants à New York, voire aux États-Unis, de lancer des franchises et plus globalement de lancer sur le marché américain une chaîne de restauration libanaise.
Une ambition qui semble intéresser de nombreux investisseurs moyen-orientaux. Car la patrie de l’Oncle Sam compte 300 millions d’habitants et son secteur F&B pèse 660 milliards de dollars par an.
L’inspiration Chipotle Semson, Naya Express et même les nouveaux kiosques qui seront développés par Balade, s’inspirent tous du modèle mis à la mode par l’enseigne de “fast casual”, Chipotle : le consommateur choisit soit un bol (de riz ou de salade ou les deux), soit un wrap ; y ajoute les légumes qu’il veut ; puis opte pour la protéine qui servira de base à son repas (viande, poulet, poisson, tofu). Cette formule a l’avantage d’être très simple, rapide, facile à mettre en œuvre. « La croissance du créneau du fast-casual est de 13 % par an », explique Carine Assouad, de Semsom. |