Les hôtels font de la résistance
L’activité hôtelière, à l’image de celle du Liban, est extrêmement fébrile. Toute prévision à moyen ou long terme relève donc du défi pour ce secteur, alors que son potentiel de développement est grand.
En 2011, l’activité hôtelière libanaise marque le pas : le début d’année morose dû à la chute du gouvernement et les bouleversements régionaux ont largement affecté le secteur, bien que les hôteliers aient réussi à limiter leurs pertes grâce à de bons résultats depuis la fin de l’été. Malgré l’instabilité couplée à la saisonnalité de l’activité, le secteur hôtelier libanais fait de son mieux pour tirer son épingle du jeu, avec Beyrouth comme destination phare. Le taux d’occupation y est satisfaisant, ce qui s’explique par le fait que le faible nombre de nouveaux établissements profite aux anciens déjà établis ; ces derniers affichent souvent complet en haute saison. Cette performance est également soutenue par la clientèle libanaise, 26 % du total, qui est moins affectée que les étrangers par l’instabilité politique. Le reste de la clientèle est composée principalement de Saoudiens, de Syriens et d’Européens, Français en tête. Les Jordaniens, qui étaient en début d’année premiers en termes de visiteurs étrangers au Liban, ne tiennent que la septième place dans les hôtels, car ils ne viennent que pour la journée. La plus forte progression est enregistrée par les Irakiens qui se replient sur le Liban aux dépens de la Syrie et de la Jordanie, suivis des Iraniens et des Turcs désormais exemptés de visa.
La clientèle est surtout répertoriée à Beyrouth, car la capitale concentre la majorité de l’offre d’hébergement marchand (hôtels, pensions, meublés, etc.) avec 200 établissements sur les 588 du pays. Si on additionne les 250 établissements du Mont-Liban, ces deux régions représentent autour de 80 % du parc hôtelier total, laissant le Sud, le Nord et la Békaa se partager les 20 % restants.
Sur l’ensemble de l’offre de Beyrouth et du Mont-Liban, 350 sont des hôtels et 100 sont des immeubles d’appartements meublés. Ces derniers sont appréciés des investisseurs, car moins cher à développer, et sans frais de gestion, ils offrent une bonne rentabilité et bénéficient d’une clientèle stable d’étudiants et d’hommes d’affaires.
La moitié des hôtels du Liban se rangent dans le milieu de gamme et près d’un tiers sont positionnés dans la tranche des 4 et 5 étoiles. Le taux de concentration dans la capitale est encore plus flagrant pour cette catégorie d’établissements qui plaît aussi bien aux touristes qu’aux investisseurs et est généralement tenue par des opérateurs non libanais. Ces derniers gèrent 4 203 chambres sous une vingtaine de marques hôtelières telles qu’InterContinental, Rotana ou Hilton. Ce qui ne représente que 5 % du nombre total d’hôtels. Les 95 % restants sont opérés par des indépendants et des chaînes libanaises. Cet écart peut s’expliquer par la frilosité de nombreuses chaînes internationales face aux aléas du pays, mais aussi au fait que les hôteliers libanais n’évaluent pas clairement l’intérêt de s’affilier à une chaîne.
Le secteur hôtelier est ainsi détenu en grande partie par des Libanais, notamment des familles dans lesquelles le métier se transmet de père en fils comme chez les Salha, propriétaires du Phoenicia et du Vendôme, les Achkar avec le Printania à Broummana et les Saab avec le Summerland Kempinski.
Quant aux étrangers, la crise financière internationale les rend moins enclins à investir de façon générale, et au Liban en particulier compte tenu de l’instabilité du pays. Les opérateurs internationaux sont eux plus pressés que les investisseurs de pénétrer le secteur, car ils demeurent peu nombreux sur un marché hôtelier encore considéré comme sous-développé et dans lequel ils espèrent implanter leur portefeuille de marques. Le dernier en date est la chaîne Hilton, qui vient de signer un accord de gestion avec Habtoor pour opérer le Habtoor Grand Hotel et le Metropolitan Palace Hotel à Sin el-Fil sous la marque Hilton Resorts & Suites.
Le chiffre d’affaires moyen des établissements du pays avoisine le million de dollars par an, sachant que l’investissement dans un hôtel est de 4,5 millions de dollars en moyenne. Un hôtel de luxe, dont le coût est plus cher, peut quant à lui afficher 60 millions de dollars de chiffre d’affaires à l’issue d’une bonne année. Cette fourchette large s’explique par l’immense écart entre les tarifs pratiqués par les établissements en fonction de leurs prestations, mais aussi de leur situation géographique. Ceux de Beyrouth sont les plus rentables, ce qui explique que la ville accueillera 16 des 25 nouveaux hôtels prévus d’ici à 2015 (voir article projets).
Ces nombreux projets à venir rappellent que le Liban a des atouts séduction : l’hospitalité à la libanaise, un climat favorable, la diversité des sites touristiques, les événements culturels et les festivals, ainsi que la vie nocturne sont autant d’attractions pour les visiteurs.
Mais ce potentiel d’expansion touristique ne permet pas à lui seul au secteur hôtelier de surmonter des difficultés à la fois conjoncturelles et structurelles. Outre l’instabilité politique, premier facteur à risque pour l’industrie du tourisme, plusieurs écueils ralentissent les efforts engagés. Les projets hôteliers pâtissent en premier lieu des prix élevés de l’immobilier. Les Libanais, habitués à considérer le facteur de l’instabilité dans leurs stratégies d’investissement, privilégient plutôt les opérations de court terme. Les retours sur investissement sont souvent plus rapides avec des immeubles résidentiels et de bureaux qu’avec des hôtels, dont la rentabilité se calcule sur une dizaine d’années.
Par ailleurs, le manque de chiffres fiables relatifs à l’activité (transactions, performances) et l’approximation des données disponibles empêchent la mise en place d’une stratégie solide à long terme, à la fois pour les investisseurs et les opérateurs. L’absence d’organisme exclusivement dédiée à la promotion touristique du Liban à l’étranger, sur le modèle du Commissariat au Tourisme des années 1960, affecte également le développement. Le vieillissement d’un grand nombre d’établissements, notamment ceux gérés par des indépendants, est un écueil additionnel qui donne une image moins attractive du parc hôtelier. Une seule mesure a pour l’heure été adoptée pour encourager les rénovations et la remise aux normes. Le ministère du Tourisme a mandaté Bureau Veritas pour effectuer une évaluation générale du parc hôtelier et délivrer une classification calquée sur les standards européens. D’autres facteurs externes au secteur l’affectent négativement, notamment la vétusté et la désorganisation des transports en commun aussi bien à l’aéroport qu’en ville, ou encore les tarifs prohibitifs pratiqués par les taxis.
Une longue tradition hôtelière Le Liban comme destination de villégiature de la région ne date pas d’hier. On raconte que les Phéniciens et les Romains aimaient passer l’été à Afqa et Beit-Méry. Puis l’époque ottomane a fait la part belle à Broummana et Aley. Selon le chercheur Bruno Dewailly, qui cite un guide de présentation de la Syrie et du Liban édité en 1925, quatre hôtels haut de gamme accueillaient les Européens et les notables égyptiens et syriens dans les stations de montagne de Bécharré, Aley et Jezzine, et à Baalbeck. Une vingtaine d’établissements étaient également répertoriés à Broummana, Beyrouth, Tripoli et Zahlé. La Seconde Guerre mondiale met toutefois un coup d’arrêt provisoire à l’activité touristique, qui reprend de plus belle à partir des années 1950 jusqu’en 1972, où l’on dénombrait près de 450 établissements d’hébergement à travers le pays qui s’enorgueillissait d’être la première destination touristique de la région. La guerre civile et les périodes d’instabilité successive jusqu’en 2008 ont empêché le secteur touristique de retrouver son succès d’antan, notamment du fait de la fermeture répétée de l’aéroport. En 1995, seuls 4 % des touristes venant au Moyen-Orient choisissaient Beyrouth comme destination, nombre d’entre eux étant des Libanais expatriés en visite dans leurs familles. Hormis un pic d’activité en 2004 rapidement oublié avec l’assassinat de Rafic Hariri l’année suivante, le nombre de touristes entrant au Liban est resté bas, ne représentant en 2011 que 5 % des touristes entrant au Moyen-Orient, bien qu’en nombre le pays ait retrouvé les chiffres de 1974 et ait dépassé le seuil de 2 millions de visiteurs en 2010. |
Glossaire Opérateur hôtelier. Compagnie hôtelière qui assure la gestion d’un ou de plusieurs établissements hôteliers. La gérance s’effectue sous la propre marque de l’opérateur ou sous une marque qui lui est affiliée. Marque. Nom distinctif détenu par un opérateur ou un établissement hôtelier indépendant. La marque constitue un repère et une garantie de qualité aux yeux de la clientèle. Elle est un élément marketing fondamental pour les opérateurs. Label/consortium/affiliation. Collection, association ou groupement d’hôtels dont un hôtel peut devenir membre. Il bénéficie ainsi de nombreux avantages tels que le nom, le système de distribution et de réservation, et l’assurance d’une promotion continue de son enseigne. RevPar/Revenu par chambre disponible. Indicateur permettant de déterminer le chiffre d’affaires à partir des tarifs appliqués par chambre. Il est calculé par rapport au taux de remplissage. Le RevPar prend en compte la capacité totale de l’hôtel. ADR/Average daily rate. Prix moyen par chambre (PMC). Taux d’occupation. Rapport entre le nombre de chambres occupées et le nombre total de chambres dans un hôtel. Hébergement marchand. Segment constitué de trois catégories d’établissements – les hôtels, les résidences de tourisme (appartements meublés) et les logements alternatifs. Ces derniers regroupent les foyers, couvents, écolodges, camping, auberges de jeunesse, gîtes et maisons d’hôtes. Les résidences secondaires et l’accueil des visiteurs par leurs familles et amis n’entrent pas dans la catégorie de l’hébergement marchand. |